Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
lit de Broussine, pour lui dicter quasiment sa condamnation de Séguin.
Lorsqu’il a raconté cela à Chirac, celui-ci a commencé par ne pas y croire. Puis il a bien vu que c’était vrai, que Balladur travaillait d’abord pour lui-même. « La guerre entre eux deux a commencé », me dit Jean-Louis Debré.
Il me parle également de façon plus cursive de la fédération RPR des Alpes-Maritimes dans laquelle tout un chacun, du secrétaire au sous-fifre, est inculpé pour différentes raisons, la plupart immobilières. Il y a mis bon ordre en débarquant tout le monde. Il espèreque Jacques Toubon prendra la relève à Nice et s’y présentera. Pour l’heure, je le sais, Toubon hésite. Je ne pense pas, moi, qu’il accepte d’y aller. Il m’a dit l’autre jour que, pour aller à Nice, il lui faudrait un gilet pare-balles. L’expression nous a fait rire. Il la replacera.
21 octobre
Conseil national du RPR. Au programme, l’aménagement du territoire. Jacques Chirac, à l’aise, parle de la politique en la matière avec un lyrisme inattendu. « C’est une mystique, dit-il, qui, comme la République, est une et indivisible. »
C’est sur les négociations du GATT qu’il veut surtout axer son message : celles-ci ne peuvent se réduire à quelques ratios statistiques. Il se taille un franc succès en poursuivant : « Il y a bel et bien une exception territoriale française. On ne négocie pas une identité comme on négocie une marchandise ! Il s’agit de rester maîtres de notre destin, il s’agit de rester maîtres de nous-mêmes ! »
Applaudissements assurés.
Ils le sont moins, beaucoup moins lorsque Jacques Chirac raconte, sur le ton de la confidence, qu’il vient tout juste de rencontrer Arafat. Celui-ci lui a montré un pendentif, une croix de Lorraine qui lui a été offerte par le général de Gaulle en 1970. Les députés n’apprécient pas du tout ce rappel historique.
23 octobre. Congrès du PS au Bourget
Au premier coup d’œil, je note que le service d’ordre a complètement changé. L’encadrement aussi. Même chose du service de presse, des secrétaires, des sténos. D’où viennent-ils ? Du PSU, d’avant 1974 ?
J’arrive samedi en début d’après-midi après que Mermaz et Huchon ont pris la parole et au moment où Pierre Mauroy monte à la tribune. Il est très applaudi lorsqu’il parle de l’injustice de la défaite, de sa confiance dans le bilan que fera, en appel, l’Histoire.
Pour le reste, il exhorte les socialistes à se montrer plus combatifs, leur disant que l’heure est venue de marquer le temps de la contestation par des choix de fond, « sans nous tromper ni sur la stratégie, ni sur le projet politique ».
Il conclut en faisant applaudir, dans une grande envolée, 1936 et Épinay, la Résistance et François Mitterrand.
Dans les coulisses, Georges Frèche, maire atypique de Montpellier, dit à mon confrère Philippe Reinhart : « Quel bal de faux-culs ! »
De son côté, Jack Lang me confie qu’il serait très heureux de conduire – si Rocard ne le faisait pas – la liste socialiste aux européennes. Il n’est plus ministre de la Culture. Il ne le regrette pas trop, car il est aujourd’hui considéré dans le monde entier comme un ambassadeur extraordinaire en la matière. « Je vais où je veux, me dit-il, je refuse ce que je veux. Je suis plus connu que Rocard ou Balladur ! » Il est hostile à la signature des accords du GATT, pour des raisons, me dit-il, universelles et mondialistes. Je n’en apprendrai pas davantage. Il est vrai que le congrès ne s’y prête pas.
En dehors de Georges Frèche dont le caractère a l’air de faire l’unanimité contre lui, ce congrès ne se déroule pas trop mal. Il est assez plat, mais c’est tout de même celui de l’« anti-Rennes ».
Sur le coup de 18 heures arrive Felipe Gonzalez 56 que le congrès, debout, applaudit follement. Mauroy, pour finir l’après-midi en beauté, donne les résultats du vote pour l’élection du premier secrétaire : pour la première fois, les militants et non leurs représentants au comité directeur du Parti ont voté. L’élection a eu lieu à bulletins secrets, au suffrage universel, au sein du PS. La victoire de Rocard n’en est que plus écrasante : il a obtenu plus de 80 % des voix 57 .
À la tribune, Rocard fait timidement le V de la victoire avec ses deux mains. Il remercie le congrès. Il a obtenu ce qu’il voulait : la
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