Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
légitimité.
Dimanche 24
Pierre Moscovici lit aux congressistes le rapport de la commission des résolutions dans une indifférence absolue. Il parle des relations nécessaires entre le socialisme et l’écologie. Il a raison, mais personne ne l’écoute. Pas plus qu’on n’écoute, après lui, le rapporteur de lacommission des conflits. Le congrès est gagné depuis la veille par l’équipe Rocard.
Le moment est venu pour Michel Rocard de prononcer son premier grand discours de premier secrétaire à la place et à l’heure (dimanche en fin de matinée) qu’avait choisies François Mitterrand avant son élection à l’Élysée. Corne de brume, cor de chasse, crécelles – le rituel, quoi ! – accueillent son arrivée au micro. Le discours qu’il prononce est très construit, très préparé, avec trois passages clés.
Sur le chômage, il propose ce qui lui tient à cœur depuis longtemps : une organisation différente du travail, c’est-à-dire une baisse massive de la durée du travail. En contrepartie, il se prononce pour une baisse des revenus consécutifs à cette baisse. La condition est que la baisse des revenus n’affecte pas les bas salaires. Elle doit affecter – il est très précis sur ce point, sans que la salle proteste – tous les autres. Il propose donc, sous les applaudissements, une remise à plat de l’ensemble des revenus, ceux du capital par le biais d’une réforme des impôts, et ceux du travail. Il insiste sur la nécessité de répartir justement les efforts.
Deuxième terrain : celui de l’égalité. « Une égalité continue des chances, précise-t-il, et pas seulement une égalité à l’école. » Il propose, en ce sens, une « charte de l’égalité continue des chances ».
Il s’attaque enfin à l’Europe, « malade » d’avoir en son sein dix gouvernements sur douze dirigés par la droite. Ce qui n’interdit pas de garder espoir : « Les dirigeants européens de la droite ne sont pas éternels, pas plus que le gouvernement Balladur. » Succès assuré.
Il propose, selon le vœu de Jean Poperen, « un grand rassemblement des socialistes européens ». La salle comprend que Rocard ouvre le Parti à Poperen dont la motion a recueilli la veille moins de 11 % des voix. Les applaudissements qui saluent cette ouverture à l’une des motions minoritaires redoublent de force et de volume lorsque Rocard annonce in fine qu’il sera tête de liste aux élections européennes de 1994. Avec cette volonté : respecter la parité hommes-femmes, c’est-à-dire désigner sur la liste, pour la première fois en France, autant de femmes que d’hommes, et, plus novateur encore, alterner les deux de façon à ne pas reléguer les candidates en fin de liste.
Discours réussi, même si le congrès n’a eu d’autre sens que de porter Michel Rocard à sa tête. Ce qui, pour un PS aussi dévalué qu’il l’était et l’est encore, n’est déjà pas si mal.
25 octobre
Le lendemain de la victoire de Michel Rocard, François Mitterrand est longuement interviewé, en début de soirée, dans « L’Heure de vérité », par les habituels protagonistes de l’émission. Pour lui éviter un déplacement, l’enregistrement a lieu dans la bibliothèque de l’Élysée. Derrière lui, la reliure rouge des livres brille, éclairant les rayonnages de bois brun.
Il apparaît, pâle, assez en forme, pourtant, à la veille des 77 ans qu’il aura le lendemain.
François-Henri de Virieu commence par la désormais traditionnelle question sur sa santé. Mitterrand le prend assez bien, avec légèreté, même : « Je trouve que ce n’est pas mal, d’arriver à cet âge. C’est plutôt mieux que la moyenne. Si je dois remercier quelqu’un, ce sera mes parents. »
Suit un immense tour d’horizon auquel rien ne manque, où aucun aspect n’est laissé de côté. C’est dire que son état de santé connu n’a rien à voir avec la façon dont il continue d’exercer son mandat.
Il se fait sérieux sur le GATT, lorsqu’il commence par dénoncer la dureté des États-Unis dans la négociation commerciale, leurs « diktats » insupportables. L’objectif fixé : préserver certains points forts qui font la puissance française. L’agriculture en fait partie. Pas question d’abandonner les paysans français. Un coup de patte aux dirigeants européens qui manquent souvent « d’énergie et de cohésion », et une conclusion qui rejoint celle
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