Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
À aucun moment, pourtant, il n’a poussé ses avantages. Il est immédiatement retombé dans les courants et les tendances, alors qu’on l’attendait pour parler autrement de la politique, pour organiser autrement lestravaux du PS. Il n’en a rien fait. Moi, ajoute-t-elle en plaidant en fait pour une attitude rigoureusement inverse de celle de Rocard, je tente au contraire de réunir des maires socialistes, des élus locaux, des anciens ministres qui n’ont jamais eu, à qui on ne donne jamais l’occasion de se retrouver et de discuter ensemble. »
Le PS donc, continue d’éclater en plusieurs tendances : celle de Laurent Fabius qui attend, en 1995, la défaite de Michel Rocard pour courir sa chance ; celle de Jospin, assez isolé ; les anciens du courant Jospin, Dominique Strauss-Kahn et Pierre Moscovici, plus attentistes ; sans oublier la fraction de gauche, Emmanuelli et André Laignel.
« Lionel Jospin conseille à Rocard de prendre du champ pour se consacrer à l’élection présidentielle, me dit Martine Aubry. C’est certes l’intérêt de Jospin, qui serait alors premier secrétaire entre 1994 et 1995. Je suis convaincue que Rocard tentera de prendre du champ, certes, mais qu’il n’entend pas pour autant abandonner la direction du Parti avant 1995. »
3 juin, vendredi matin
Rencontré Jean-Claude Trichet dans son austère et somptueux bureau de la Banque de France : meubles Louis XVI, tapisseries des Gobelins aux murs. Il m’apparaît aujourd’hui assez optimiste sur la reprise économique. Les chefs d’entreprise recommencent à investir, ils affirment que les carnets de commandes se remplissent. « Ça repart, me dit-il, la capacité de rebond économique est assez forte en France et dans la plupart des pays européens. »
D’ici à 1995, les choses peuvent-elles changer ? Il ne voit pas la tendance à la reprise s’inverser : « Nous n’avons pas intérêt, me dit-il, pour la croissance et pour l’emploi, à jouer un franc moins fort. Nous sommes installés aujourd’hui dans une relation franc-mark extrêmement confortable. L’apaisement est évident : les taux courts allemands ont été abaissés, l’inflation allemande s’est rapprochée de l’inflation française, autour de 2 points. Les croissances allemande et française convergent. Cette stabilité ne peut pas être remise en cause dans les mois qui viennent. Le couple franc-mark est meilleur que jamais », conclut-il.
Voilà qui va conférer plus de sérénité à la campagne européenne, et peut-être plus d’arguments aux pro-européens.
7 juin
En voyage officiel en France pour le 50 e anniversaire du débarquement, après avoir traversé un Paris bloqué par un embouteillage, Bill Clinton est reçu aujourd’hui en grande pompe à l’Assemblée nationale par Philippe Séguin. Après le roi d’Espagne, le voici donc face aux députés. Il est entré dans la salle précédé par des gardes du corps grands comme des armoires à glace, portant d’énormes valises ; le code atomique, sans doute, qui ne le quitte pas, ou bien les panoplies de ses agents spéciaux...
Comme il est bronzé, Bill Clinton, quel visage épanoui, sans une ride ! Il monte à la tribune à pas comptés. Devant lui, l’hémicycle est bondé. Socialistes, gaullistes, libéraux, Georges Marchais lui-même, tous les députés sont présents pour écouter le président américain.
Il commence, de sa voix légèrement voilée, reconnaissable entre toutes, par remercier François Mitterrand de son invitation en France : « Ce que j’ai vu hier en Normandie 34 , dit-il, ce sont des souvenirs pour toute ma vie. ».
Il évoque ensuite, dans une sorte de fresque, les problèmes de sécurité, la limitation des armements, la coopération entre les États, en Bosnie, notamment, où il se félicite que le conflit ne se soit pas étendu et espère que les protagonistes parviennent au plus vite à un accord. Il termine sur les vertus de la démocratie, et par une invitation à « reprendre la tâche qui nous a réunis il y a cinquante ans ».
Lorsqu’il a fini de parler, les députés de tous bords se lèvent pour une standing ovation. Ce n’est pas tant ce qu’il a dit que la façon dont il l’a dit, la force qui émane de lui, son énergie, que l’on applaudit dans les travées ou dans les tribunes réservées au public, où Anne-Aymone Giscard d’Estaing côtoie Isabelle Juppé. Joli coup de pub pour Philippe
Weitere Kostenlose Bücher