Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
maires ne sont pas les mieux placés pour trier entre les étrangers acceptables et les autres, et appelle, dans une envolée finale, à « concilier la générosité et le réalisme : oui, les étrangers ont des droits dans ce pays ; non, ils n’ont pas tous les droits ! ».
L’appel de Mazeaud à la générosité n’empêche pas Laurent Fabius de déposer, immédiatement après son intervention, une exception d’irrecevabilité pour le retrait de la loi Debré. L’Assemblée ne la retenant pas, il annonce que le PS déposera un recours devant le Conseil constitutionnel.
C’était couru d’avance. Et, au fond, chacun dans la majorité s’en fiche, à l’exception sans doute de Jean-Louis Debré et de quelques députés : c’est moins le texte de la loi qui les intéresse que le débat sur l’immigration lui-même qui isole, sur leur droite, le Front national, et, sur leur gauche, les socialistes.
3 mars
Déjeuner avec Bernard Pons. Nous commençons par aborder les problèmes, multiples, des transports, puisqu’il en est le ministre. Il me vante les qualités de Bernard Thibault, le jeune secrétaire général de la CGT-SNCF, « très fort, me dit-il ; le meilleur et de loin ! ». Ce qui le préoccupe à Air France, c’est la grève des contrôleurs aériens, prévue pour cet été, sur une revendication vieille comme lesaffaires sociales : l’intégration des primes dans le calcul de la retraite. Cela coûte, me dit Pons, la bagatelle de 100 millions sur trois ans. Il a demandé sur ce point l’arbitrage de Juppé qu’il rencontre tout de suite après notre déjeuner. En ce qui concerne les routiers, qu’il a vu le 27 février, Roger Poletti, le leader FO des camionneurs, ancien poinçonneur du métro parisien, a l’air, me dit-il, de s’être calmé. D’autant que les routiers se sont aperçus que tout ce que le gouvernement leur avait promis sur les retraites, l’interdiction de voyager le dimanche, etc., ne marche pas trop mal. Ils ont donc accepté de faire passer au second plan la prime de 3 000 francs et son étalement : « Ça baigne ! »
Enfin nous parlons politique. Il sait bien que je suis là pour ça. Il reste un fervent admirateur de Jacques Chirac dont il loue, une fois de plus, l’obstination, le caractère. Il pense qu’en 1998, la majorité n’aura pas de peine à être reconduite. Alain Juppé, selon lui, a fait beaucoup de progrès : « Maintenant, dit-il, il écoute ses ministres, il ne les prend plus de haut. » Il a toujours pensé, y compris au cours de ces mois derniers où son remplacement était évoqué dans toutes les conversations, qu’Alain Juppé resterait à Matignon jusqu’en 1998, « et sans doute au-delà, si les élections sont gagnées ».
Là, je trouve qu’il va un peu loin. « N’oubliez pas, m’explique-t-il, que Juppé est aussi président du RPR : Chirac ne peut pas s’en débarrasser à Matignon sans s’en débarrasser aussi au RPR, et cela, c’est beaucoup plus difficile ! »
Il ne craint pas grand-chose des socialistes : « Lionel Jospin n’est pas à la hauteur, affirme-t-il, il fait vieux, il réagit avec lenteur. Il s’est fait posséder comme un bleu dans ce débat sur l’immigration qui n’a été fait que pour nuire au PS en montrant que sur ce sujet, il était minoritaire dans l’opinion publique. Mais les socialistes n’ont personne d’autre. » Un temps, puis il ajoute : « En plus, l’ouverture massive aux femmes est une machine à perdre ! » Je lui dis qu’il retarde, qu’il est ahurissant de dire et même de penser cela. Il n’en est pas ému. Il persiste et signe : « Vous savez bien, dit-il, que j’ai raison. »
Heureusement qu’il ne recrute pas les journalistes !
7 mars
Philippe Séguin au téléphone. Il s’exprimera sur la Justice, le 20 mars prochain, à l’occasion des Assises de la Justice, à Versailles. Il proposera, me dit-il, que les mises en examen soient motivées, comme les jugements, avec des « attendus » que les mis en examen pourront contester. Autrement, il est hostile à l’indépendance du parquet : « L’indépendance – il a de belles formules, même au téléphone –, cela se mérite, cela ne se décrète pas ! »
« Si les juges d’instruction ont pris cette place, reprend-il, c’est que les hommes politiques la leur ont laissée. »
Il n’empêche : il me raconte cette anecdote sur un dirigeant d’Elf dont il ne
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