Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
me donne pas le nom, convoqué par Eva Joly pour éplucher les comptes de la compagnie. Il lui laisse ses dossiers en partant, l’heure étant tardive. Quelques heures après, un journaliste du Figaro appelle ce dirigeant après dîner, et lui parle des feuillets qu’il a laissés chez le juge, dont il connaît apparemment le contenu. C’est donc un flic, ou je ne sais qui, qui a photocopié les comptes et les a transmis à la presse.
Entre nous, cela ne m’étonne pas : je me rappelle que, partageant à un moment de ma vie professionnelle, dans un espace paysager, le bureau de Charles Villeneuve, spécialiste des questions de justice, j’ai entendu des tas de juges d’instruction l’appeler directement pour le tenir au courant de leurs investigations sur les dossiers en cours.
7 mars
Vu Rocard une fois de plus chez Tony Dreyfus. Il refuse toutes les perches que je lui tends sur une éventuelle succession de Jospin. Il reste persuadé que Laurent Fabius a tout en main pour empêcher n’importe lequel premier secrétaire du PS de prendre son envol. Si Jospin hésite à annoncer des décisions, me dit-il, c’est parce qu’il sait qu’immédiatement la presse en profitera pour repartir sur son thème favori : bataille de clans au sein du PS.
Sa nouvelle femme, Iléana, psychanalyste, ne manquerait-elle pas de psychologie ? À moi qu’elle connaît à peine et dont le métier est de rapporter les propos des autres, elle explique ainsi l’échec politique de Rocard face à Mitterrand : « Il n’a pas assez de cohérence intérieure pour pouvoir gagner dans l’action politique. » Pour que je comprenne mieux, elle m’assène : « Beaucoup de gens disent qu’il aeu des problèmes avec son père quand il était jeune. C’est faux : il en a eu surtout avec sa mère, c’est sa mère qui l’a détruit. »
Je ne lui demandais pas de me faire un diagnostic. Il faut dire que Rocard, qui entend tout ce qu’elle me dit, a l’air de s’en foutre absolument. Je ne sens chez lui aucune volonté de remonter au front dans la bataille pour le pouvoir. Il est très bien à l’Assemblée européenne : il considère qu’il y fait les choses les plus importantes de sa vie.
Longue conversation, au moment de l’après-dîner, sur la sortie du communisme, la chute du Mur, Artur London, Lise London, sa femme française, communiste, et les dirigeants du PCF, sur les archives de l’URSS qui devraient fournir matière à bien des livres et essais.
À nous tous le communisme, qui pourtant a dominé la vie politique au XX e siècle, paraît appartenir à un passé très lointain, oublié de tous sauf de nous qui en devisons ce soir.
8 mars
Du congrès radical de gauche qui se tient aujourd’hui à l’hôtel Méridien de Montparnasse, une seule chose à retenir : tous les leaders de la gauche sont là, ils sont tous venus sans exception, du Parti communiste aux Verts, des socialistes au MDC de Chevènement. C’est la première fois depuis longtemps que se succèdent à la tribune des orateurs qui, tous, mettent l’accent sur ce qui les unit, en même temps que sur l’« urgente nécessité », dit Dominique Voynet, d’aller vite, dans le même sens et d’un même mouvement. Un premier constat, de Voynet : « Nous ne gagnerons pas les uns contre les autres. » Une volonté, celle de Jospin : « Il ne faut pas seulement rappeler nos convergences, mais aussi résorber les points durs ancrés dans nos convictions [ sic ]. » Une ouverture de Robert Hue : « Le Parti communiste veut contribuer à la victoire qui sera commune ou ne sera pas. »
9 mars
Claude Estier, que je vois dans la journée, me confirme qu’en réalité, les pourparlers en vue de 1998, entre PS et PC, ont commencé le 6 mars, l’avant-veille du congrès radical, au domicile de Lionel Jospin. La prochaine rencontre doit avoir lieu en avril. Ilme dit que cette rencontre a marqué la fin du contentieux entre Robert Hue et les socialistes. Le secrétaire général du PC avait en effet traité, il y a quelques jours, le PS de « gauche fadasse ». François Hollande lui a demandé de modérer ses expressions. Robert Hue a juré qu’on ne l’y reprendrait plus.
Le soir, à dîner, nous retrouvons chez Georges Sarre, dans le XI e arrondissement de Paris, celui dont il est depuis des années le plus fidèle lieutenant : Jean-Pierre Chevènement, que je n’ai pas revu depuis plusieurs semaines. Il se réjouit
Weitere Kostenlose Bücher