Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
peuple... »
Juppé a également développé le thème de la nouvelle étape et du nouvel élan, ainsi que celui de l’alliance PS-PC qui « donne au PS des semelles de plomb et le tourne vers le passé ». Suit une descente en flèche du programme du PS sur la réduction du temps de travail, les renationalisations. Et fin sur « les valeurs de la République, les valeurs de l’humanisme, le refus de l’exclusion, les valeurs de la patrie et l’amour de la France ».
J’ai voulu suivre ce premier déplacement pour juger de l’argumentation de Juppé : je sais que, par la suite, à l’occasion de chacun de ses dix meetings à venir, il déclinera à quelques nuances près sonpremier discours. Je le trouve efficace, ce discours, prononcé avec conviction, dans un style clair et cohérent, mais j’en reviens toujours au même point : si c’est pour reconduire la même majorité, si c’est pour que Juppé, qui mène la campagne, apparaisse comme devant rester à Matignon, malgré ses dénégations, à quoi bon ce vote, à quoi bon ce scrutin ?
6 mai
Roland Cayrol s’interroge, comme moi, sur le rôle de Juppé. Est-il efficace, est-il souhaitable pour Chirac ? « Sa légitimité pose problème, dit Cayrol, Le seul qui soit légitime, après la dissolution, c’est Chirac, point final ! »
8 mai
Hier, Chirac a donné raison à Cayrol : en ce jour anniversaire de son élection de 1995, il est intervenu pour la première fois dans la campagne législative anticipée. Fait nouveau : il n’a pas choisi la télévision. Une fois de plus, comme à l’occasion de sa déclaration de candidature en 1994, il a choisi quatorze quotidiens régionaux pour y faire publier trois pages dactylographiées qu’il a envoyées par fax avant-hier après-midi. L’article est intitulé « L’élan partagé ». Je le résume d’une phrase qui continue à ne rien expliquer sur l’impérieuse nécessité de la dissolution : « J’ai besoin de vous pour poursuivre l’ouvrage que nous avons commencé ensemble... »
Vu aujourd’hui, au Sénat, Jean-Luc Mélenchon 26 qui ne voit dans l’intervention du Président aucune unité, aucun élément de dramatisation. Elle n’aura aucun impact non plus, selon lui. Il est aujourd’hui convaincu que la gauche peut gagner. En bon ancien trotskiste qui a tendance à voir des complots partout, il en redoute un, précisément pendant la campagne : « Ils vont essayer de trouver une saloperie contre nous, assure-t-il. Ils vont devenir méchants, car ils sont en train de perdre ! »
Il est aujourd’hui convaincu que, jusqu’à présent, la droite n’embraye pas. À gauche, au contraire, l’idée d’un vote-regroupement, d’un vote utile, progresse. Pas de triomphalisme prématuré, cependant : « Nous sommes encore, dit-il, sur la corde raide. Celui qui rassemblera le mieux son camp sera vainqueur. »
Suit un déjeuner entre quelques journalistes dont Raymond Barre est l’invité. Il est hors course, il le sait, et cela lui confère une drôlerie qui n’est pas dans sa nature : « Chirac est un volatile avec des couilles... pardon, Mesdames », nous dit-il.
« Et Balladur, un félin sans couilles ? » plaisante un confrère.
Barre ne réfléchit pas longtemps. Il part d’un de ces rires secoués dont il a le secret : « Non, mais Mitterrand n’a pas eu tort de parler de son lacet ottoman. »
Allusion, évidemment, à la phrase de Mitterrand qualifiant Balladur, en 1994, d’« étrangleur ottoman ».
Il n’exclut pas, il nous le dit, une démission de Jacques Chirac s’il vient à perdre les élections.
Il arrive que Barre, lui aussi, prenne ses rêves pour la réalité...
8 mai (suite)
François Hollande tient la boutique pendant que Jospin harangue les foules. Il se réjouit de l’intervention télévisée de Robert Hue, hier. « Pour la première fois, estime-t-il, Robert Hue a évolué positivement sur l’Europe, puisqu’il a dit que si le gouvernement PS garantit qu’il n’y aura pas de politique d’austérité, pourquoi pas l’Europe ? »
En revanche, Hue demande, en même temps qu’il fait cette concession, que les socialistes ne soient pas hégémoniques ni pendant la campagne, ni après.
Pour Hollande, l’allocution du Président n’a rien changé ; il n’a toujours pas répondu à la question : la dissolution, pour quoi faire ?
Sur le fond, Jospin répondra à l’article de Chirac
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