Camarades de front
La dame gémit. D’un seul coup le matelot lui arracha sa jupe. – Dessous roses ! dit-il en jubilant. – Il lui donna une tape sur les fesses. – Allons, réveille-toi ! Heinz ne reviendra jamais à Hambourg.
Nouveau chapelet de bombes. Les verres tombèrent en cliquetant, la lumière s’éteignit, une fille cria de peur. Le feldwebel se mit à chanter. Le schupo toussa. Son casque avait roulé dans un coin au moment de l’explosion. Le marin embrassait la dame qui gémissait toujours.
– Une tournée de noces ! cria quelqu’un.
Tout le monde rit et on but à la santé du matelot et de la dame.
– Grouille-toi, putain ! entendit-on dans le noir. C’est mon dernier voyage, demain le U-189, mais aujourd’hui c’est ton tour.
Trude arriva avec de la lumière et dans la pénombre nous vîmes deux corps étendus par terre. La dame poussa un cri strident. Le schupo gronda :
– Cochon, laisse-la tranquille !
Tante Dora se leva sans bruit et avança dans l’ombre vers l’homme qui était couché sur la dame. Les vêtements de la femme étaient en loques, elle se défendait violemment mais le matelot arrivait à ses fins. L’agent se pencha sur le marin et lui arracha sa victime.
L’homme se redressa et cria comme un fou… Il bondit vers la porte.
– Au premier mouvement je tire ! dit le schupo.
Le matelot disparut en grondant dans l’escalier au moment où l’on entendit claquer des bombes incendiaires. Inondé de liquide, l’asphalte se mit à brûler, les flammes montèrent, vivantes, il faisait chaud comme dans un four. Une voix hurla pour demander du sable. Des ombres s’allongeaient dans cette lueur d’enfer. Toute la rue brûlait.
Tante Dora, très calme, alluma un voltigeur., le vingtième depuis le début de l’alerte. Le légionnaire chantonnait : « Viens, douce mort, viens… ». Par la fenêtre, nous vîmes le matelot prendre feu comme une torche, il fondit lentement jusqu’à devenir une poupée roussie.
La femme violée était assise par terre et regardait droit devant elle sans rien voir. Elle se balançait en criant tout le temps et se mit à se taper la tête contre les murs, de plus en plus vite, comme un train qui prend de la vitesse. Sa voix s’éleva en un fausset strident.
– Elle est devenue folle, dit un sous-officier de pionniers.
Tante Dora jeta un coup d’œil sur la femme qui se balançait.
– A l’arrière, commanda-t-elle en faisant un signe à Ewald.
Nouveau. tonnerre. Des maisons s’écroulèrent tout près, mais les cris furent engloutis dans la tempête de feu qui balayait comme un typhon l’autre côté de la Hansaplatz.
Tante Dora, toujours calme, arriva avec un plat de châtaignes grillées que nous mangeâmes avec du sel gemme jusqu’au moment où une patrouille du Service de Sécurité fit une entrée bruyante. Leur premier regard fut pour le schupo qui remettait son casque, et 1’Oberscharführer qui commandait la bande siffla longuement.
– Ah ! ah ! Un agent qui se chauffe au coin du feu, quelle bonne surprise !
L’agent se mit au garde-à-vous et fit son rapport.
– Surveillant de police Krull de l’infirmerie de la Gare centrale. Rien à signaler.
Les S. S. se mirent à rire : – Pas d’imagination, grand-père ! La moitié du quartier brûle et tu n’as rien à signaler ? Là, à la porte, il y a deux cadavres et tu n’as rien à signaler ? – Le S. S. tendit la main en riant. Sans un mot, le schupo lui remit son ordre de patrouille et son carnet. Le S. S. feuilleta indifférent le petit carnet gris, sans lire l’ordre de service, et fourra le tout dans sa poche de poitrine. – Tu aspires à une balle dans la nuque, grand-père ?
Le schupo cilla, agita la tête et murmura quelque chose d’incompréhensible.
– Se mettre au frais dans ce bordel, pendant que nous on fait notre devoir, c’est fort de café ! – Il fit le tour de l’agent et le fouilla avec soin. Le mauser disparut dans la poche du S. S. – Allons, face au mur et que ça saute ! – De sa mitraillette il poussa l’agent vers le mur. – Tu vas te balancer, oncle de la police, avec une pancarte sur le gésier : Déserteur ! – Les autres S. S. éclatèrent de rire. – Mets tes mains sur ta nuque ou je t’arrache les oreilles ! cria le S. S.
Il se tourna vers le bar et commanda : – Cinq doubles, en vitesse.
Tante Dora se leva, cligna de l’œil à Trude qui disparut dans l’arrière-boutique où était
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