Camarades de front
regarda M me Braun. On entendit quelques grognements quand il la saisit par les cheveux. Elle cria, mais pas beaucoup. Il lui frappa la tête contre le montant de la porte et laissa retomber le corps sans vie.
– C’était un démon, dit-il au légionnaire en marchant sur le visage de la femme avec ses grosses bottes.
Il étouffa Braun avec un bout de fil de fer et, quand il fut sûr de sa mort, murmura quelques mots latins restés au fond de sa mémoire depuis le temps de la pension catholique de Minden.
En partant, ils vérifièrent soigneusement la fermeture de la porte : – Il y a de si drôles de gens qui rôdent ! On pourrait dévaliser l’appartement ! dit Petit-Frère. Puis il remonta son pantalon et suivit le légionnaire chez Tante Dora qui plaça devant eux deux verres en disant : – Encore un verre, les gars ? – comme s’ils venaient de faire un tour de danse.
– Skôl ! fit le légionnaire en avalant le sien.
– C’est fait ? murmura Tante Dora en se versant un amer.
Le légionnaire la regarda et cligna de l’œil en levant son verre.
– Skôl ! répéta-t-il.
– A la santé de tous ceux que tu rectifieras, dit Tante Dora qui était prête à jurer aux indiscrets que ses deux clients n’avaient pas bougé de chez elle de toute la nuit.
Mais il n’y eut pas d’indiscrets.
Le lendemain, les avions canadiens bombardaient le quartier où avait habité « le Gorille », qui ne fut plus qu’une mer de flammes.
Petit-Frère regarda le légionnaire.
– Une chance que nous nous soyons décidés à y aller hier, sans ça on serait arrivé trop tard. Et on ne serait jamais entrés dans le paradis d’Allah, hein, nomade ?
– Ne te moque pas des choses. sérieuses, dit le légionnaire.
– Il faut se faire des relations, dit Tante Dora. C’est aussi nécessaire que l’air qu’on respire.
Le « Beau Paul » était une excellente relation. Il envoyait les gens à la potence ou commuait la peine en travaux forcés, comme cela lui chantait, et il ne faisait d’ailleurs rien pour rien, Tante Dora n’était pas non plus une relation négligeable.
Le « Beau Paul » était un des serpents les plus redoutables du III e Reich. Tante Dora ne craignait pas les morsures. Elle rit et gratta ses grosses cuisses en suivant des yeux la sortie des sbires du Service de Sécurité.
Le verre de genièvre que le « Beau Paul » avait seulement reniflé fut vidé dans l’évier, pour plus de sûreté. Petit-Frère trouva que c’était dommage !
« VINDSTYRKE U »
NOTRE feuille de sortie de l’hôpital fut signée un certain mercredi. Le docteur Mahler nous serra la main en nous regardant dans les yeux, et eut quelques mots gentils pour chacun de nous.
Il nous fallut trois jours pour faire nos adieux à la ronde. Petit-Frère se surpassa au bordel. Le légionnaire et moi nous saoulâmes à fond au « Vindstyrke U » en compagnie de Tante Dora qui marmonnait de temps en temps des mots incompréhensibles en regardant le légionnaire d’un air bizarre. Nous étions assis dans une des petites niches, sous la lumière rouge tamisée.
– Que ferez-vous tous les deux après la guerre ? demandai-je pour dire quelque chose.
– Après la guerre ? rêva le légionnaire. – Il tourna son verre dans sa main en regardant avec intérêt l’absinthe changer de couleur. – Peut-être un peu de commerce.
– La traite des blanches, suggéra Tante Dora.
– Pourquoi pas ? Une marchandise ou une autre… Il y a des endroits où les femmes sont rares, ça se paie cher. Si je t’avais rencontrée il y a quelques années, ma grosse, j’aurais pu te trouver une belle situation. Tu te serais amusée avec tout un bataillon au B. M. C. d’Alger.
– Fumier, fut la réponse de Tante Dora.
– Si je réussis, continua le légionnaire, et après avoir tranché la gorge de quelques-uns qui le méritent, je filerai en douce et j’irai vivre comme un homme riche de l’autre côté de l’eau. Un endroit sans cette police de Satan. – Il rit à cette pensée.
– Tu n’y crois pas toi-même à tout ça, dit Tante Dora en allumant un nouveau voltigeur. Tu veux que je te dise ce que tu feras dès que la guerre sera finie ? Tu iras au premier bureau d’engagement français et tu claqueras les talons pour avoir un contrat à la Légion.
Le légionnaire la regarda longtemps. Sa longue balafre devint d’un rouge vif comme si le sang voulait jaillir de la
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