Camarades de front
que des malheurs, tu es un vrai vaurien. Il y avait bien de beaux messieurs et de belles dames qui ont voulu t’aider quand je faisais des ménages chez eux, et j’ai été si humiliée quand tu as volé un mark dans la poche du fruitier Molerhans. Les schupos auraient dû te tuer le jour où ils t’ont passé à tabac parce que tu avais bu le lait du gardien Grüner. J’ai tant fait pour toi, moi ta pauvre mère.
Tu as reçu une paire de sabots tout neufs le jour où tu es entré à l’institution et je t’ai battu chaque fois qu’il le fallait malgré mes rhumatismes dans l’épaule. Toutes les taches de cette lettre sont les larmes de ta pauvre mère. Au bureau de placement, on dit que tu es un criminel de profession et le directeur Apel qui est un monsieur si bien dit que si tu étais mort, alors je pourrais trouver du travail, mais tu es un ennemi de la société et le malheur de ta mère. Quand tu seras mort pour la patrie ils disent qu’on prendra soin de moi. Ainsi sois bon garçon, Wolfgang, et donne à ta mère cette seule joie, tout le monde dit que c’est facile mais je sais que tu ne le feras pas. Nous n’avons plus du tout de charbon et c’est ta faute qu’ils disent au bureau de distribution. « Votre abominable fils vit toujours, pauvre Madame Creutzfeldt ? » a dit M. Schneider. Vilain ! Ta pauvre mère a froid, Wolfgang ; les avions viennent toutes les nuits et c’est terrible ; hier Y ai échangé un ticket de beurre contre un ticket de café. Il faut que tu sois bon fils et que je puisse aller au ravitaillement si tu tombes pour le Führer. J’en pleure presque quand je pense que nous aurions été si heureux si tu étais inscrit au Parti comme le Cari de M me Schutz. Carl est un monsieur élégant avec beaucoup de décorations et M me Schutz dit qu’il voit Himmler. Il donne beaucoup de joie à sa mère et lui a apporté une bague, un collier en vrai or avec des pierres rouges et des tickets de beurre. Il avait reçu ces bijoux d’un ennemi du peuple, espérant qu’il sauverait ainsi la vie d’un de ces monstres qui nous trahissent, nous autres pauvres Allemands, mais tu penses bien que Cari raconte comment il traite ces horribles gens. Wolfgang, M me Schutz m’appelle, je monte boire une tasse de café. Sois bon garçon, pochard, et meurs comme un héros pour que ta pauvre mère puisse avoir du charbon. Je ne dis pas tendres souvenirs, bâtard, parce que tu n’as jamais su faire quelque chose pour ta mère.
P. S. – Quand tu seras tombé pour le Führer, dis à tes camarades de m’envoyer une photo de la tombe pour que je puisse la montrer à M. le directeur Apel.
– Par Allah, quelle horrible mère ! s’écria le légionnaire.
Alte avait le visage crispé : – Rattrape Petit-Frère, avant qu’il n’arrive un malheur.
Nous le trouvâmes effondré dans un abri de mitrailleuses ; à notre vue il grogna quelque chose d’incompréhensible.
– J’ai lu ta lettre, dit Alte, ta mère est abominable.
Le pauvre type fumait son papirochka et, quand
il répondit, on crut qu’un ours allait attaquer.
– Elle m’a envoyé à la Kripo, une fois, pour avoir fracturé un distributeur automatique. Elle voulait la moitié des sous, mais je n’ai pas compris, alors elle m’a dénoncé. Un jour où la Stapo est venue et a trouvé des tracts qu’un de ses beaux messieurs avait oubliés, elle a dit que c’était moi, et tous ceux qui me connaissent savent que je ne me mêle pas de ces choses. C’est comme ça chaque fois et je vous jure qu’elle sera bientôt en route vers la Gestapo pour me coller quelque chose. Elle s’est mis dans la tête qu’il faut que je crève et elle y arrivera – ses yeux flambaient dangereusement sous ses lourds sourcils – vois-tu Alte, je suis né comme un rat, j’ai été chassé comme un rat et elle veut que je sois tué comme un rat.
Alte lui tapa sur l’épaule : – Calme-toi Petit-Frère, ici on t’aime bien. Même si le colonel Hinka et le commandant von Barring t’engueulent, ils t’aiment bien et te défendront contre les S. S.
Le légionnaire lui donna une bourrade amicale :
– Quand cette chienne de guerre sera finie, tu pourras toujours venir avec moi.
– Et Emma ? Tu ne crois pas qu’elle était sincère ?
– Sûrement, mais sait-on, les femmes !
– J’étais si content d’avoir une lettre ! C’était la première de ma vie.
– N’y pense plus, dit Heide se mêlant à la
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