Camarades de front
serraient à nous étouffer… Petit-Frère lia ensemble six grenades et murmura : – Je vais les arranger, ces salauds qui veulent m’empêcher de revoir Emma !
Le bruit de chaînes recommençait… Il nous rendit fous !
– Je ne peux plus, je ne peux plus ! hurlai-je avec désespoir.
– Envoie-leur un télégramme pour les prévenir, railla le légionnaire qui leva un tout petit peu la tête.
Il vit le char ralentir, la tourelle virait, le long canon cherchant une cible… Puis il repartit, les chaînes cliquetèrent… Un fracas sonore, et un obus fila vers un nid de mitrailleuses allemandes qui disparut dans un jet de feu. Le bras de Petit-Frère s’arrondit en arrière, un bouquet de grenades au poing.
– Jette, jette ! cria le légionnaire qui regardait hypnotisé la main de notre camarade.
Il attendit un moment qui nous parut un siècle, puis il s’écroula dans le trou. Nous écrasions nos visages dans la boue. Une explosion arracha nos tympans… une mer de flammes…
– On file, les gars ! rugit Petit-Frère triomphant.
Du char en feu pendait un corps hurlant que le légionnaire acheva d’une salve. A cet instant, sortait du bois en courant le lieutenant Ohlsen suivi d’une quinzaine de nouvelles recrues. Un T. 34 les vit ; une fusée monta et les saisit dans son faisceau lumineux.
– Courez ! hurla le lieutenant, mais personne ne l’entendit.
D’un creux où il s’était planqué, il vit les projectiles balayer les quinze recrues. Le feldwebel Schneider galopait vers nos tranchées effondrées. Une grenade de 15 s’écrasa devant lui et l’engloutit dans une flamme… Le sous-officier Grunert et le soldat Hauber furent découverts par un char qui fit demi-tour et tira sur eux. Une balle traversa la poitrine de Hauber. Il tomba en avant avec un hurlement. Le T. 34 lui passa sur le corps, broya ses os, le sang et les chairs giclèrent de part et d’autre des chaînes. Grunert, à la vue des monstres d’acier, resta changé en statue de pierre, les bras tendus comme s’il voulait les arrêter.
Le T. 34 se balançait sur ses chenilles en une sinistre danse ; de la chenille gauche pendait une des mains de Hauber qui semblait faire un signe ; l’avant du char dégouttait de sang. Les yeux de Grunert lui sortirent des orbites ; il cria, se mit à courir, tomba, et en un clin d’œil, le cinquante-deux tonnes lui passa sur les jambes. Le malheureux se traîna sur la terre labourée, tirant ses jambes après lui. Un fantassin russe le vit, jura, et lui envoya une salve de mitraillette dans le dos. Il s’effondra et ne bougea plus, mais le fantassin ne lui avait cassé qu’une épaule et il ne mourut que deux heures plus tard.
Le commandant en second, lieutenant Burgstadt, sauta sur une mine qui lui arracha le ventre. Deux Russes île trouvèrent, les mains pressées sur son ventre, essayant de retenir les boyaux qui s’échappaient ; le sang coulait entre ses doigts, sa bouche était grande ouverte mais pas un son n’en sortait.
– Tschort Germansky ! dit un des Russes en lui enfonçant sa baïonnette triangulaire dans la poitrine. – Il le fit doucement, tout doucement… Sa sœur avait été pendue à Kharkov par les S. S. et il suivit le conseil d’Ilya Ehrenbourg : « Eteignez votre soif de vengeance dans le sang allemand. »
La troisième section, sous les ordres de l’oberfeldwebel Dorn, galopait comme folle dans le no man’s land. Trois T. 34 ouvrirent le feu. Les hommes tentèrent de se planquer dans un trou où ils s’entassèrent les uns sur les autres, mais l’infanterie russe bondit sur eux de la corne du bois. Dorn lança quelques ordres et ils se mirent à tirer sur les Russes avec leurs trois MG 42, mais les chars lancèrent des grenades. Malgré les menaces furieuses de l’oberfeldwebel, les hommes se dressèrent les bras en l’air ; les fantassins russes, planqués, se dressèrent aussi, levèrent leurs mitraillettes et firent du tir à la cible sur la 3 e section, jusqu’à ce que le dernier soit tombé.
– Ainsi nous savons ce qui nous attend, dit Alte. Il n’y a qu’une chose à faire, revenir chez nous le plus vite possible.
Joseph Porta était assis sur le bord du talus, une grande boîte de singe à la main. Il pérorait abondamment lorsqu’il fut interrompu par le tonnerre d’une centaine de canons.
La violence de la déflagration fut telle que Porta et sa boîte volèrent à la tête de Petit-Frère qui se
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