Camarades de front
couillon, ricana Porta, et que tu sers dans un régiment d’un genre spécial qu’on espère bien faire massacrer comme héros de la grande Allemagne. Tu verras, on aura son portrait avec des lettres d’or. A condition qu’on ne flanche pas avant, naturellement !
– Je ne flanche pas, moi ! gronda Petit-Frère. Et je suis le plus courageux de vous tous, salopards.
Au même instant surgissait le lieutenant avec le courrier.
– Il y en a une pour toi, Petit-Frère.
Le géant en resta stupide : – Une lettre pour moi !
Il regardait presque terrifié l’enveloppe d’un gris sale où, d’une main enfantine et gauche, on avait écrit : « Panzer Obergefreiter Wolfgang Creutzfeldt Panzer-Ersatzabteilung U, Paderborn. » L’expéditeur ne devait rien savoir de notre camarade depuis fort longtemps car il y avait belle lurette qu’il avait quitté Paderborn. C’était la garnison qui avait rajouté le secteur postal : 23 745.
– Sainte Mère de Dieu ! c’est la première lettre de ma vie, chuchota le géant. Comment ça s’ouvre ?
Gauchement, il déchira l’enveloppe et extirpa une feuille de papier d’emballage couverte d’une écriture serrée. Nous eûmes un choc en le voyant pâlir, tandis qu’il épelait avec difficulté.
Julius Heide leva un sourcil : – Mauvaises nouvelles, camarade ?
Le géant ne répondit pas mais continuait à fixer la lettre d’un regard hypnotique. Heide lui donna une bourrade : – Qu’est-ce qu’il y a ? Raconte ?
Petit-Frère bondit. Il saisit Heide par le cou, le jeta contre le parapet et tira son couteau, mais un croc-en-jambe du légionnaire le précipita par terre, aux pieds de Heide paralysé de terreur.
Petit-Frère se releva et regarda le légionnaire : – Ça te coûtera la tête, putain arabe !
Le légionnaire alluma un papirochka sans manifester la moindre émotion.
– Il ne sera jamais un monsieur ! murmura Heide tout pâle.
– Vos gueules ! – Le géant s’éloigna, ramassa la lettre et la défroissa sur son genou. Lentement, il se remit à lire. Alte vint s’asseoir près de lui et lui tendit une cigarette ; tous deux fumèrent en silence, puis Alte mit la main sur l’épaule de Petit-Frère.
– Puis-je te venir en aide, camarade ?
– Oui, gronda l’autre, en me foutant la paix jusqu’à ce qu’Ivan ou un S. S. me colle une balle dans la peau !
Il se leva, repoussa Alte, jeta sa lettre loin de lui et se dirigea vers la porte. D’un coup de pied, il expédia le sac de grenades et se retourna hargneux : – Un seul mot, tas de héros, et je vous fais votre affaire !
Il ramassa sa mitraillette et nous la jeta à la tête, puis il disparut dans le boyau.
Alte, hochant la tête, ramassa la lettre et la déplia.
– Ça doit être une rude lettre pour le mettre dans cet état !
– Crétin ! murmura Heide qui se frottait le cou.
– On pourrait demander qu’il soit muté, proposa un nouveau, le gefreiter Trepka dont le père était colonel d’infanterie.
– Si tu veux t’en charger, dit Heide en se frottant toujours.
– Pourquoi pas ? – Trepka alla vers la table : – Ce sale type est un criminel dont la place est contre un mur.
Le légionnaire marmonna un juron français et jeta un coup d’œil vers Alte.
– Tu veux dénoncer Petit-Frère ? demanda Heide.
– Pas difficile, dit Trepka. – Il sortit une feuille de papier et se mit à griffonner un rapport.
– Magnifique ! ricana Heide. Si Hinka lit ça, ton compte est bon.
– Ça n’ira pas chez le colonel, répondit Trepka mais chez le N. S. P. O. (commissaire politique).
Il empocha la note qui signifiait l’exécution du Petit-Frère.
Alte nous appela, le légionnaire et moi, et nous montra la fameuse lettre.
C’était la mère de Petit-Frère qui l’avait envoyée.
Mon cher Wolfgang, j’ai des rhumatismes dans les jambes, mais je veux tout de même décrire pour te dire que tu n’es plus mon fils, même si je t’ai mis au monde. Que ce jour soit maudit. Ton père, se bandit, était un vrai pochard, mais tu es bien pire. Tu es un criminel et c’est ta pauvre mère qui en supporte les conséquences. J’ai reçu hier une paire de bas de laine de M me Schutz, tu sais, celle qui m’a aidée à te faire entrer à l’école des garçons. Elle était comme tout le monde et te voulait du bien, mais tu as été sans reconnaissance et tu t’es sauvé parce qu’on te battait un peu. Tu n’as jamais fait
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