Camarades de front
Je parie qu’ils fêtent leur retour en bagnole ! – Porta éclata de rire. – Et justement, on est là, nous, pour la bagnole !
Il y eut un silence. Porta se roula une sèche. Enfin le lieutenant se leva : – Bien, allons chercher cette voiture.
Il se passa ensuite à l’arrière des lignes ennemies un de ces innombrables drames qu’aucun communiqué ne raconte. Il n’en demeure qu’une douzaine de noms rayés sur les statistiques de l’armée.
Le caporal Vassui Rostoff et le soldat Ivan Skol-jenski, de la 347 e brigade de blindés, s’étaient dirigés vers leur magnifique char tout neuf pour y chercher du mouton fumé, lorsque des doigts de fer s’incrustèrent dans leurs gorges. Tout s’évanouit lentement devant leurs yeux ; la voiture neuve sembla flotter dans l’air. Vassili réussit à porter la main à son cou, puis mourut. Ivan revit en un éclair l’image de ses deux enfants, il voulut appeler mais pas un son ne passa ses lèvres. Il se débattit, le légionnaire serra plus fort et il mourut aussi. Porta et Petit-Frère enfilèrent rapidement les deux blouses russes par-dessus leurs tuniques et coiffèrent les casques des morts. Un chuchotement… nous nous, glissâmes vers le feu où se chauffait le reste de l’équipage du blindé.
– Job twojemadj ! jura Porta à haute voix.
Près du feu, les Russes se mirent à rire et l’un d’eux cria : – Grouillez-vous ! On attend la bidoche.
– Tout de suite, mon garçon, tout de suite, murmura le légionnaire. Tu vas l’avoir dans le jardin d’Allah.
Nous avancions sous la fumée du feu, silencieux comme des panthères. Julius Heide tenait sa cordelette d’acier, le légionnaire son poignard maure, un autre la courte pelle de fantassin, chacun soupesait son arme de prédilection… Elles étincelèrent d’un seul coup à la lumière du petit feu. Un gargouillement de terreur… des corps pantelants…
Julius Heide se jeta sur le 9ergent, lui enfonça le visage dans les braises qui s’éteignirent en sifflant, et ne lâcha sa victime que lorsqu’elle ne bougea plus. Le lieutenant Ohlsen se mit à vomir. Tout avait eu lieu à une rapidité ahurissante, sans bruit, sans héroïsme. Nous regardions avec stupeur les cadavres encore chauds ; l’un d’eux avait un morceau de pain à la main, un autre une gamelle renversée dont le « kapuska » lui coulait sur la poitrine…
Alte, la tête dans ses mains, était livide ; il avait jeté au loin sa pelle ensanglantée ; quant au lieutenant il continuait à vomir. Ces deux-là ne s’habitueraient jamais. Mais Petit-Frère et Porta avaient déjà bondi dans le char flambant neuf, Porta au volant, Petit-Frère à la mitrailleuse. Heide et Stein montèrent par-derrière et poussèrent des cris de joie en découvrant les armes : deux mitrailleuses et un des incomparables lanceurs de grenades russes. Porta rayonnant fit ronfler le moteur qui éveilla des échos.
– Quel outil ! On n’a rien de pareil chez nous !
Le lieutenant et Alte sursautèrent : – Etes- vous fou ? Tout s’entend dans ce bled ! Faites marcher ce moteur plus silencieusement !
– Impossible, mon lieutenant, Yvan ne sait pas construire des moteurs silencieux, faut que ça pète ! – Il fit encore un tour avec le lourd engin, freina brusquement en faisant gicler la terre et alluma les phares, ce qui fit encore bondir Ohlsen.
– Ces lumières, bon Dieu ! Eteignez ça !
– Mon lieutenant, si je fais ce que vous me dites, nous n’irons pas loin. Nous ne sommes plus des Allemands en déroute mais des Ivans vainqueurs, alors pourquoi marcher dans le noir et le silence ? Beaucoup de lumière, des océans de lumière, la victoire est à nous ! Vive le petit père Staline ! Job twojemadj !
Le lieutenant ahuri se frappait le front en regardant Alte ; Porta lui inspirait de vives inquiétudes. Comme un possédé il conduisait le blindé dans la nuit ; Petit-Frère et lui, revêtus d’uniformes russes, occupaient le siège avant ; lorsqu’ils arrivaient à un camp impossible à contourner, tous deux accéléraient et faisaient du poing le signe du « front rouge » à des hommes barbus, d’aspect sauvage en leurs bizarres accoutrements, qui nous répondaient en brandissant leurs armes.
– Hourrah Staline ! Vive l’armée rouge ! criaient les partisans – car c’étaient eux – ivres de victoire à la vue du blindé.
– A bas les Germanskis ! clamait Porta. On va se
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