Camarades de front
lieutenant.
– Remarquablement peu, mon lieutenant, répondit Porta qui faisait des ricochets sur la surface d’un petit étang. De quoi tirer une balle dans la tête à chacun de nous.
– Vous me fatiguez, Porta. – Le lieutenant poussa des caisses de munitions vers Alte. – Celles-ci sont pleines. La mitrailleuse est en état ? Et comme autres armes ?
Alte farfouilla dans une fourmilière avec une branche morte et répondit d’un air exténué : – Trois mitraillettes, l’une d’elles russe. Dix-sept grenades à main, un lance-flammes et un tuyau de poêle sans munitions.
– Sainte Mère de Dieu ! rigola Porta. De quoi finir la guerre ! Pourvu qu’Ivan ne le sache pas, il se mettrait à fuir.
– Taisez-vous donc ! cria le lieutenant furieux, vos imbécillités ne servent à rien, ayez plutôt une idée ; il nous faut traverser cette région de partisans pour rejoindre nos lignes. Elles doivent bien être quelque part !
– Aux alentours de Berlin, grogna Petit-Frère.
– Propos défaitistes ! cria Trepka. Je réclame un tribunal d’exception selon l’ordonnance N° 8 du Führer !
Le lieutenant se tourna lentement vers le sanguinaire gamin.
– Vous êtes vraiment trop idiot. Croyez-vous que nous ayons le temps de nous occuper de ces couillonnades derrière les lignes russes ?
Trepka eut un regard de fanatique ; il claqua des talons et clama comme un coq nain : – Mon lieutenant, tout soldat allemand, quel que soit son grade, peut demander un tribunal d’exception contre les traîtres et les défaitistes ! – Il sortit de sa poche la dénonciation qu’il avait écrite contre Petit-Frère et la tendit à Ohlsen.
Celui-ci la lut en silence, la déchira, puis il regarda curieusement Trepka, droit comme un i devant lui et fier comme Artaban.
– A votre place je ne serais pas fier de ça ! Vous êtes véritablement un intoxiqué des tribunaux d’exception !
– Quand Ivan nous mettra la main dessus, cria Petit-Frère, on verra si cette merde est toujours aussi chaude pour les tribunaux d’exception !
– Cesse tes hurlements ou bien on va être en route pour Kolyma sans avoir le temps de se retourner !
– Saperlotte ! gronda le légionnaire. Je préfère le Sahara à la Sibérie !
– Je les emmerde tous les deux, dit Porta. Je veux rentrer à Berlin Moabit.
– Et peut-on savoir comment tu comptes le faire ?
– On piquera une voiture à Ivan, ça vaut mieux que la marche, dit nonchalamment Porta.
Le lieutenant regarda Alte et secoua la tête : – Fou à lier !
Porta se leva, jeta la mitrailleuse sur son épaule et se mit à trotter vers la forêt. Petit-Frère, comme un chien fidèle, portait la caisse de munitions. Le lieutenant, d’un air résigné, commanda : – En colonne par un derrière moi.
Et, pendant deux heures, nous nous frayâmes un chemin au travers de la forêt de pins, harassés, fourbus, pleurant parfois, jurant toujours, mais l’instinct de conservation et la terreur de ce que les Russes faisaient aux prisonniers nous forçaient à avancer. Avec le sûr instinct du loup des steppes, Porta et Petit-Frère nous guidaient par les taillis et les marais, et après quatre jours d’efforts surhumains, nous aperçûmes soudain la lumière de quelques feux. Nous nous planquâmes à la vitesse de l’éclair, et tous, nos deux guides exceptés, étions d’accord pour disparaître en douce. Mais, en fin de compte, l’avis de Porta prévalut, bien qu’en son for intérieur le lieutenant le considérât comme insensé.
– Là où il y a du feu, il y a des Ivans, et là où il y a des Ivans, il y a de la voiture. Et il nous en faut une. Viens, Petit-Frère, allons reconnaître les lieux.
Ils disparurent dans l’obscurité sous les jurons rentrés de notre chef. Deux heures plus tard on les vit revenir et tous deux s’assirent en tailleur à nos côtés. Petit-Frère repoussa son melon en arrière et se mit à rire.
– Il y a longtemps qu’on aurait dû se connaître, Joseph Porta. Ce qu’on aurait pu faire ensemble sur la Reepersbahn !
– Comme voiture, ça alors ! Blindée tout terrain, bourrée d’essence, de quoi aller jusqu’à la Bornholmerstrasse !
– Et les Russes ? demanda le lieutenant en fixant le sommet noir des pins.
– Pas de quoi s’en faire. Huit singes jaunes à biberonner autour d’un feu. Panjemajo ? Ils ont au moins dix litres de vodka qu’ils ont chauffés à leur intendance.
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