Camarades de front
laver le cul à Berlin !
– Emmenez-nous ! répondaient les partisans ravis.
Heure après heure le char avança en grimpant à travers la forêt ; lorsque nous nous arrêtions durant le jour, c’était en camouflant si soigneusement notre engin qu’il était invisible à quelques mètres ; la moitié d’entre nous faisait le guet derrière les mitrailleuses pendant que l’autre moitié dormait profondément.
Ce jour-là, au plus épais de la forêt, une section de partisans sous les ordres d’un lieutenant de l’armée russe opérait comme une sorte de tribunal d’exception. Ils avaient attrapé une jeune femme russe, originaire d’une région de la Volga, qui, pour être nourrie et logée, avait servi comme femme de ménage au Q. G. d’un régiment allemand. Survint l’offensive. Plus ou moins exprès, on oublia la jeune Russe ; il y avait bien assez de filles partout ! Les uniformes aux passementeries rouges sont toujours du goût des filles. Elle se réveilla donc pour voir les nuages de poussière que soulevait la retraite du régiment et, rassemblant ses hardes à la hâte, elle se jeta elle aussi sur la route dans le flot de l’armée allemande. Engueulée par les brutes de la feldgendarmerie, elle tombait, se relevait, titubait en pleurant ; pendant quelques kilomètres elle put s’accrocher à l’étrier d’un de ses compatriotes cosaques, mais le cosaque se mit à accélérer et elle tomba. L’homme la frappa de son long nagajka en disant « Nitchevo » ; il cracha sur elle et éperonna son cheval tandis que le soleil faisait étinceler l’insigne de son bonnet rouge.
Pendant un bout de chemin elle put monter dans la remorque d’une cuisine roulante jusqu’à ce qu’un lieutenant l’en chassât. Et déjà, sans qu’elle s’en soit rendu compte, les soldats rouges étaient sur ses talons.
Eperdue, elle gagna la forêt où se trouvaient pourtant ses plus mortels ennemis, qui n’étaient pas les soldats du front ; pendant des heures, elle erra, paralysée par la terreur, puis un beau matin elle tomba sur deux partisans barbus et fut traînée devant le lieutenant Turjetza, le chef de la section. C’était un homme grand et mince, le meilleur de sa classe à l’école militaire d’Omsk. A quatorze ans, il avait dénoncé sa mère pour idées contre-révolutionnaires, et celle-ci fut tuée sous un éboulement de terrain à Sib-Chikago, le camp de déportation. Piotr Turjetza, lorsqu’il apprit la nouvelle, haussa les épaules et dit : « Bien mérité. » Il était intelligent, fanatique et rapide dans ses conclusions. A l’apparition de Maria entre ses deux gardiens, il repéra instantanément ses chaussettes allemandes à typique liseré vert. Il eut un sourire froid.
– Traîtresse ! siffla-t-il. – Il lui cracha à la figure et la souffleta de son bonnet de fourrure :
– Ton nom ? Et que fais-tu ici ? D’où viens-tu ?
Elle se redressa sous ses coups ; l’entêtement propre à sa race se fit jour. Elle ferma à demi ses beaux yeux d’un bleu d’outremer, lécha le sang qui coulait sur son visage et cria :
– Je viens des genoux de ma mère et je fuis les Allemands. Tu ne sais peut-être pas ce qui se passe dans les villages, toi qui te caches dans la forêt et qui tues par-derrière !
– Ah ! c’est comme ça, putain ! – Il appela son second, un petit Kalmouk, le sergent-chef Igor Pol-tonek. – Occupe-toi de cette fille.
Le Kalmouk sourit avec compréhension, commença par battre Maria, lui cassa deux doigts, puis la caressa.
– Marischa, dit ensuite le lieutenant, tu nous espionnais pour le compte des Allemands ?
– Niet, gémit la malheureuse.
– Tu devais nous vendre ? dit le lieutenant en souriant, et il lui tordit le cou en le disloquant à demi.
Elle se mit à crier.
– Tu es une traîtresse qui as couché avec les Allemands.
Ils lui donnèrent des coups de pied, puis ils lui arrachèrent ses vêtements et la lancèrent sur un arbre où elle resta suspendue à une branche, tandis qu’ils découpaient de fines lamelles de peau sur son corps et enduisaient les plaies de sel. On la descendit et elle avoua. Elle dit tout ce qu’on voulait, qu’elle avait vendu la Russie, combattu l’armée rouge, raillé Staline, qu’elle était un traître de Vlassov. Ils la forcèrent à boire de la vodka en versant le liquide à même sa gorge, puis le lieutenant haussa les épaules : – Faites-en ce que vous
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