Camarades de front
très en vogue.
– Est-ce que toutes ces femmes sont vraiment aussi putains ? dit-il d’un air de doute en regardant l’actrice qui flirtait des plus familièrement avec un général de la police.
– Pas toutes, avoua Busch, mais celles qui font les mijaurées on les jette dehors. Celle-là, là-bas, qui étincelle, en est une vraie ! Dans les films, elle joue les Gretchen, mais ici, oh ! là, là ! Ma parole, elle devient une bac… une bac… enfin quelque chose comme ça.
– Vous voulez dire bacchante ?
– Faites pas le malin, embusqué du front ! éclata l’ivrogne en colère.
Le lieutenant se mit à rire et haussa les épaules. Busch marmonna des mots indistincts… « Liquider toute l’armée, ramassis de traîtres… » Tout à coup son visage luisant s’éclaira.
– Savez-vous ce que veulent dite les initiales de votre plaque ?
– Wehrmacht Heer, répondit le lieutenant.
– Raté ! clama le gros homme enchanté. Ça veut dire « Weg nacht hinten (Marche arrière) ! »
Hilare, il se tapa sur les cuisses en donnant des coups de coude à sa voisine.
Le lieutenant se pencha en arrière : – Et savez-vous comment, dans l’armée, on appelle les S. S. ?
– Non, dit Busch avec curiosité.
– Arsch (Cul), arsch ! gloussa le lieutenant.
Il y eut un silence oppressant. Ohlsen se mit à rire, leva son verre et dit : – A la santé de l’armée !
Mais comme les verres se levaient mollement, il ajouta, malicieux :
– A la santé de l’armée du Führer !
Force était de porter un toast et de briser ensuite les verres car ceux-ci ne devaient plus servir à rien d’autre. Le lieutenant regarda avec satisfaction le monceau de verres en miettes et se promit de recommencer avant de s’en aller.
Le dîner ayant pris fin, on se répandit dans la grande villa.
– Quel est l’état d’esprit du front en ce moment ? chuchota un officier de la police à l’oreille d’Ohlsen.
Ce dernier fit un geste vague : – Je suis en permission et je n’ai aucune donnée qui soit récente.
– Permission ? cria Busch. Qu’est-ce que c’est que ça ? Chez les S. S. on n’a pas de permissions. Tout au plus des missions pour arrêter les traîtres et ordures de ce genre. Parlez-moi de vous autres, du front, Des peinards ! Ça me soulève le cœur quand on me parle de l’armée. – Ses yeux délavés commençaient à se noyer : – Regardez ces culs de généraux qui se dandinent dans leurs bottes ! Poux, que je les appelle. – Il s’échauffait. – Si j’étais le Führer, la hache, et en vitesse ! – Il se tourna vers les gradés S. S. qui faisaient cercle : – N’ai-je pas raison les gars ? L’armée est un troupeau de moutons bêlants, une bande de lâches.
On acquiesçait. Quelqu’un murmura : – Oui, bande de lâches.
– Ces beaux messieurs aux galons rouges se pavanent devant nous, la Garde du Führer ! Ils nous méprisent comme de la crotte – Busch cracha sur le tapis persan – ces merdeux oublient totalement que c’est grâce à nous qu’ils sont ce qu’ils sont, car sans nous, que seraient-ils, je vous le demande ?
Le lieutenant haussa les épaules. Il regardait une dame dont la jupe remontait bien au-delà des genoux. Un S. S. lui mesurait la cuisse avec une ficelle.
– Qu’étaient-ils ces chiens ? continua Busch, têtu, et il poussa le lieutenant du coude. Des merdes ! Ils se présentaient au rapport uniquement pour obtenir des signatures comme au temps du système. – Il cracha de nouveau sur le tapis et écrasa la tache gluante avec son pied. – Vous autres, étalons de la Wehrmacht, vous obtenez des décorations par pelletées pour ce bout de guerre de rien !
On essayait de le calmer, mais en vain.
– Et nous ! Vous ne répondez pas, lieutenant à la gueule de héros. Et nous ?
– Assez ! Rudi, conclut une voix. Ce n’est pas la faute de cet officier de blindés si tu n’as pas encore de décorations.
– Laisse-moi finir, crétin, protesta Busch qui s’accrochait aux revers du lieutenant. Notre guerre est bien pire que la vôtre, regardez comme mes mains tremblent. – Il les secoua violemment devant le nez d’Ohlsen. – Des exécutions par centaines, collègue, des exécutions en masse. Vous devriez essayer heure après heure, jour après jour, de commander des pelotons d’exécution, même si ce ne sont que des sous-hommes que nous tuons. Ils crient quand même parce qu’ils ont peur de
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