Camarades de front
jusqu’à ramener à Bergen le lieutenant Ohlsen, non pas pour lui être agréable, mais pour l’empêcher de chercher envers et contre tout à voir son fils.
Devant la villa se tenait un homme amputé des jambes et des bras, qu’on avait posé sur le châssis d’une voiture d’enfant. Il était en civil, mais sur sa veste brillait la croix de fer de première classe.
Le S. S. Obergruppenführer Berger descendit de sa Mercédès, fronça le sourcil et regarda l’homme-tronc d’un mauvais œil.
– Eloignez-moi ça, chuchota-t-il à son second.
On s’empara de l’invalide qui criait et on le jeta dans le four avec quelques juifs ou autres bohémiens. Le châssis de la voiture d’enfant roula le long de la rue et servit de jouet à un gamin. Aucun objet désagréable n’offensait plus la vue des invités.
SOIREE CHEZ LES S. S.
UN soir, le lieutenant Ohlsen fut emmené par Heinrich dans aine grande villa près du Wannsee. Toute la fleur du Parti devait s’y rencontrer.
De chaque côté de la porte, sur laquelle était sculpté l’aigle S. S., se tenaient deux gardes en grand uniforme, ha foule se pressait dans la grande entrée où d’autres S. S. en veste blanche débarrassaient les invités de leurs manteaux. Aussitôt après, s’ouvrait une grande salle brillamment éclairée par de nombreux lustres de cristal qui se reflétaient en d’immenses glaces sur toute la hauteur des murs. Au milieu de la pièce se dressait une table en fer à cheval, couverte de linge damassé, de porcelaine de, Sèvres, de flambeaux à douze branches en or massif, de verrerie en cristal gravé, d’ancienne et lourde argenterie.
A l’une des extrémités du salon, une vingtaine d’officiers supérieurs lorgnaient d’un œil allumé les grandissimes décolletés des dames. Heinrich attira Ohlsen vers ce groupe et le présenta à un homme assez fort, en uniforme brun, dont le regard glaça le lieutenant. Cet homme était un des rouages les plus insensibles de l’administration S. S. Il tendit au lieutenant une main molle et collante et grommela quelque chose signifiant que c’était un honneur de serrer la main d’un officier du front ; puis il engagea le lieutenant à se servir, et, sans plus de cérémonie, se précipita vers une dame en mauve.
Tout le monde se mit à table. Une longue file de S. S. en veste blanche, manœuvrant comme à l’exercice, entra, portant les plats dont l’abondance ne se ressentait nullement du rationnement. Il y avait tout ce qu’on pouvait désirer de plus succulent.
– Ça, au moins, c’est un menu ! dit en riant le S. S. Untersturmführer Rudolph Busch, qui, déjà passablement gris, faisait face au lieutenant. A la bonne heure ! bégayait-il en mordant dans une cuisse de faisan qu’il tenait à deux mains, se piquant de ressembler ainsi aux vieux héros germaniques.
Busch, d’après les dires d’Heinrich, avait pendu sa propre sœur à Gross-Rosen deux ans plus tôt. Il avait en effet une tête à ça.
– Menu international ! gronda-t-il avec un geste large, en jetant ensuite derrière son épaule l’os rongé qu’un S. S. s’empressa de ramasser. – Personne ne sembla surpris. Les Germains festoyaient comme devait le faire les hôtes de Wotan.
– Voilà des artichauts de Yougoslavie, reprit-il avec l’orgueil du vainqueur, des truffes belges, des champignons de France, du caviar russe, du beurre et du jambon danois, du saumon norvégien, des gelinottes finlandaises, des faisans bulgares, du mouton hongrois et des pommes de terre venant des terrains sableux de Pologne. Il ne nous manque somme toute qu’un délicieux romsteak anglais ! – Il jeta un second os par-dessus son épaule. – Mais ce qui ne figure pas encore au menu peut venir – il lécha ses lèvres luisantes – attendez un peu, lieutenant, qu’on saute la Manche ! Je me réjouis à l’idée d’établir des camps de concentration en Ecosse et de voir hisser les lords à la corde !
– Bon Dieu ! pensa le lieutenant, il ne sait donc pas que la guerre est perdue !
– Que pensez-vous, cher collègue, de l’avenir de l’Allemagne ? grommela Busch en enfonçant ses mâchoires dans un morceau de chevreuil. – Il avait l’air d’un cannibale en grand uniforme.
Le lieutenant haussa les épaules et s’excusa de n’en rien savoir. Un bœuf sur la langue en pareille société ! Il évoqua le visage moqueur du légionnaire et frémit.
– L’Allemagne sera le
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