Carnac ou l'énigme de l'Atlantide
des
mers. Ne seraient-ce point là les descendants des Atlantes ?
La question mérite d’être posée. De toute façon, en se
mêlant aux nouveaux venus Celtes brittoniques, les autochtones ont constitué
avec eux de grands ensembles culturels à dominante celtique. C’est pourquoi le
légendaire celtique apparaît si riche en traditions concernant des catastrophes
naturelles sur le rivage, et aussi une terreur invraisemblable de la mer.
Car les Celtes ne sont pas des marins. Ils viennent tous de
l’est. Ils ont tous plus ou moins franchi le Rhin. Ce sont des terriens. Et s’ils
sont devenus des marins, c’est beaucoup plus tard, pour des raisons de survie, coincés
qu’ils étaient sur les franges occidentales de l’Europe. Encore certains Celtes
manifestent-ils leur crainte pour toutes les choses de la mer. La terreur qu’ils
manifestent à propos de la mer est devenue un véritable rituel de conjuration
contre les flots.
C’est encore chez Strabon que l’on découvre le plus de
renseignements : « Je ne crois pas, dit-il, ce que nous dit tel
historien, que les Cimbres (= les Celtes) menacent et repoussent de leurs armes
le flot qui monte, ni ce qu’avance Éphore au sujet de Celtes ou Gaulois, que
pour s’exercer à ne rien craindre, ils regardent tranquillement la mer détruire
leurs habitations, se contentant de les rebâtir après, et que les inondations
ont fait chez eux plus de victimes que la guerre » (Strabon, VII, 2). Strabon
se montre fort sceptique. Il a tort : le rituel de l’eau est prouvé chez d’autres
auteurs, comme Aristote. En effet, celui-ci, dans sa Morale à Nicomaque (VIII,
7), déclare : « Quand on va jusqu’à ne pas craindre ni un tremblement
de terre, ni les flots soulevés, comme on prétend que font les Celtes. »
Et, dans sa Morale à Eudème (III, 1), il ajoute : « Les Celtes
prennent leurs armes pour marcher contre les flots. » Nul doute qu’il ne s’agisse
d’une conjuration contre la mer. Et c’est aussi l’indication
précieuse que, dans leurs traditions, les Celtes – y compris les peuples
autochtones qu’ils avaient conquis et celtisés – ont le souvenir tenace des
débordements de l’océan. Un curieux poème gallois attribué au barde Taliesin ne
dit pas autre chose :
« Quand Amaethon
vint du pays de Gwyddyon, de Segon à la puissante porte,
la tempête se déchaîna pendant quatre nuits en pleine belle
saison.
Les hommes tombaient, les
bois n’étaient plus un abri contre le vent du large.
Math
et Hyvedd, maîtres de la baguette de magie, avaient libéré les éléments.
Alors Gwyddyon et Amaethon tinrent conseil.
Ils firent un bouclier d’une telle puissance
que la mer ne put engloutir leurs meilleures troupes »
(poème XV).
Le même Taliesin (ou celui qui prend son nom) fait également
allusion, dans le mystérieux poème du Cad Goddeu, à la catastrophe de l’inondation :
« J’ai été dans la barque
avec Dylan, fils de la Vague,
sur une couche au centre,
entre les genoux des rois,
lorsque les eaux, comme des lances inattendues,
tombèrent du ciel au plus profond de l’abîme… »
(poème VIII).
Et, en Irlande, de nombreux récits se font l’écho de ce même
événement, comme s’il s’agissait d’une date fondamentale dans l’histoire de l’humanité.
Mais, comme toute tradition épique ou mythologique représente une actualisation,
une incarnation du mythe abstrait et immuable, de caractère immanent, chaque fois
que ce mythe est exprimé, il se manifeste autour d’un personnage précis, et
connu de la société à laquelle on s’adresse, dans des circonstances historiques
ou pseudo-historiques qui sont censées représenter l’environnement dans lequel
s’incarne l’événement. Le célèbre récit du Festin de Bricriu présente en
effet, parmi les épreuves auxquelles doit satisfaire le héros Cûchulainn, pour
prouver qu’il est digne d’obtenir le « morceau du héros » face à ses
compagnons d’armes Loégairé et Conall Cernach, une nuit de veille à la
forteresse de Cûroi Mac Daeré. Cette nuit de veille consiste en une
confrontation avec un monstre marin. Le monstre marin est un symbole bien connu
de la fureur des flots : dans la basse vallée du Rhône, la Tarasque, connue
par son appartenance au folklore de Tarascon, n’est en fait pas autre chose que
l’image projetée des violentes crues du Rhône, et qui se fait mater par la
sainte Marthe honorée
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