Carnac ou l'énigme de l'Atlantide
reproches d’Ecca et manifestant sa compassion, il
leur donne un cheval tout harnaché afin qu’ils puissent transporter leurs bagages.
Cependant, Oengus fait à Ecca une recommandation très importante : « Veillez
à ce que ce grand coursier soit constamment en train de marcher au pas et ne
lui donnez pas un seul moment de repos, car autrement, il serait cause d’une
mort certaine. »
Les paroles d’Oengus sont assez énigmatiques. De toute
évidence, le cheval en question est un animal de l’Autre Monde, doué de
certains pouvoirs que les êtres humains ne sont pas capables de comprendre. Ecca
et sa troupe repartent avec le cheval et parviennent dans une plaine où ils décident
de s’établir. Mais lorsque chacun s’efforce de récupérer son bien sur le cheval,
ils oublient de le maintenir au pas. « Et au
moment où il s’arrêta, une fontaine magique surgit sous ses pattes ». Ecca
est fort troublé par ce phénomène [46] et
se souvenant de l’avertissement d’Oengus, il fait construire une maison autour
de la fontaine et établit sa propre forteresse à côté pour mieux pouvoir la
surveiller. « Et il choisit une femme pour prendre soin de la fontaine, chargeant
celle-ci de garder strictement la porte fermée, sauf quand les gens de la
forteresse viendraient chercher de l’eau. »
Par la suite, Ecca acquiert la souveraineté sur la moitié de
l’Ulster. Une ville se fonde autour de la forteresse d’Ecca. Il a, probablement,
d’Ebliu deux filles, Ariu et Libane. Ariu épouse une sorte de prophète à moitié
fou, Curnan le Simple. Ce Curnan se répand partout en lamentations et prédit qu’un
jour, « un lac surgirait au milieu d’eux à cause de la fontaine et qu’il
était urgent de construire des bateaux ». Il prédit également la mort « de
tous les êtres vivants de cette plaine, à l’exception d’un certain Conaing, de
Libane et de lui-même ». Il se lance dans des tirades prophétiques :
« Je vois l’eau surgissante, un torrent vaste et
profond, je vois notre chef et tous ses hôtes engloutis sous la vague, et aussi
Ariu, ma mieux aimée – hélas ! je ne peux la sauver ! –. Mais Libane,
à l’est et à l’ouest, nagera longtemps sur les rivages de l’océan, près des
rivages mystérieux et des îlots obscurs et dans la grotte profonde de la mer. »
Bien entendu, comme Cassandre à Troie – et comme saint
Gwenolé à la ville d’Is –, Curnan ne rencontre aucun écho à ses paroles qui
sont autant de prophéties de malheur, et tout le monde lui rit au nez. « Alors,
la femme qui avait été chargée de la fontaine, à une certaine occasion, oublia
de fermer la porte… Immédiatement l’eau s’engouffra dans la plaine et forma un
grand lac… Ecca, toute sa famille et tous ses gens furent noyés, à l’exception
de sa fille Libane, de Curnan le Simple et de Conaing. »
L’analogie avec la légende de Cardigan et celle de la ville
d’Is est on ne peut plus nette. Il s’agit du même schéma, de la même histoire, avec
un même rôle pour la femme chargée de veiller sur le danger que représentent
les eaux, que ce soit la mer, retenue par des digues et des écluses, que ce
soit l’eau d’une fontaine qui menace de déborder. Et comme dans la légende de
la ville d’Is, Libane – qui est sans doute la femme chargée de veiller sur la
fontaine – ne meurt pas, bien qu’elle soit engloutie par les eaux :
« Elle vécut une année entière, avec son petit chien, dans une chambre
sous le lac. » C’est ici le thème connu du palais sous l’eau, qui réapparaîtra
dans les romans arthuriens avec Viviane, la Dame du Lac. À la fin de l’année, Libane
commence à s’ennuyer ferme, ce qui est très naturel. Alors, elle prie et
demande à Dieu de devenir un saumon, « afin de nager avec les autres sur
la mer claire et verte. À ces mots, elle prit la forme d’un saumon ; seuls
sa figure et ses seins ne changèrent pas ». Alors elle nage pendant trois
cents ans avant d’être repêchée par saint Congall qui la baptise et lui donne
le nom de Muirgen (= née de la mer). Et elle meurt aussitôt baptisée.
Il est bien évident que cette Libane-Muirgen est l’un des
prototypes de ces mary-morgans, ces sirènes celtiques qui hantent les rivages
et les lacs de la Bretagne armoricaine, du moins dans la tradition populaire. Le
légendaire breton abonde en histoires où quelqu’un rencontre Dahud, sous forme
d’une sirène, errant
Weitere Kostenlose Bücher