Cathares
qui pourrait le soustraire à ses mauvais penchants. Toujours avec le même sens de la précision, il précisait qu’il n’y avait jamais eu de passage à l’acte ni même de tentative « déplacée » de la part de Rahn.
Le dossier se faisait en revanche beaucoup plus discret lorsqu’il s’agissait d’évoquer l’affectation de Rahn dans un camp de prisonniers en qualité de gardien. Tout juste se bornait-il à affirmer que l’individu faisait manifestement preuve « d’une grande faiblesse morale et psychologique ». Dès lors, selon Fritz, son appartenance à la SS devait clairement être remise en cause et discutée au plus haut niveau.
Tout en buvant son sirop d’orgeat à la terrasse du Bar des Amis, Le Bihan arriva à la dernière page du rapport « O.R. ». Une seule et petite page pour l’éclairer sur ce qui l’intéressait le plus : les recherches de Rahn. Sous l’intitulé « confidentiel », Fritz affirmait que les recherches de Rahn devaient être prises avec le plus grand sérieux et qu’elles étaient de nature à appuyer la lutte légitime du RF (probablement Reichsführer) contre les religions sémites. L’auteur du rapport poursuivait en affirmant que, contrairement aux dispositions prises par la hiérarchie de manière récente, il fallait donner l’illusion à Rahn qu’il pouvait poursuivre ses recherches sans contrainte ni embûche de quelque nature que ce soit. Fritz ajoutait une phrase qu’il avait pris soin de souligner : « Ce n’est que de cette manière qu’il pourra nous mener au secret faisant l’objet de notre mission. » Le Bihan fut étonné de voir que le nom de Fritz avait été plusieurs fois corrigé dans le rapport, comme s’il avait été retapé sur une fine bande de papier collée sur le document. Il prit la pointe de son Opinel et commença à gratter doucement. L’opération était délicate, mais à force de patience, il réussit à révéler un autre nom sous celui de Fritz : Koenig. Pourquoi l’homme avait-il dissimulé son identité à Betty ? Probablement craignait-il que Rahn ait parlé de lui à la Française et que celle-ci ne se méfie de lui.
Le rapport se conclut en février 1939. Quelques semaines avant la mort de Rahn, songea Le Bihan. L’historien referma le volume et s’interrogea sur les motivations profondes de Fritz alias Koenig. Avait-il été honnête dans ses explications ou n’en avait-il livré qu’une partie ? Était-il sincère avec Rahn, au moins dans les premiers temps de leur amitié, ou n’avait-il jamais cherché qu’à le trahir ? Et puis surtout, quel était ce « secret » qui était de nature à combattre les religions sémites ? Le Bihan saisit le deuxième document, les quatre écus maladroitement dessinés par Betty. Il le détailla en se disant qu’il tenait en main la clé du secret qui avait coûté cher à Rahn.
50
Berlin, 1939
Cher Jacques,
Le camp de Buchenwald où j’avais été affecté avait été construit en 1937 au nord de Weimar pour y détenir les prisonniers politiques. À mon arrivée, j’estimai qu’environ dix mille personnes devaient y être détenues. Il y avait ce que l’on appelait des éléments sociaux, c’est à dire surtout les opposants politiques et les Juifs. Bien sûr, je connaissais les méthodes prônées par le national-socialisme avant d’assurer ma mission de gardien, mais tout cela était resté très théorique dans mon esprit. Je devine tes reproches, mais essaie de me comprendre avant de me juger trop sévèrement. Je pense que mon attitude résultait d’une réaction de scientifique qui ne cherche pas à appréhender les événements de manière humaine, mais seulement factuelle.
Aujourd’hui encore, le courage me manque pour te décrire les scènes auxquelles j’ai été confronté. On a coutume de dire que l’homme est un loup pour l’homme, mais j’étais loin de me douter dans quelle mesure cette affirmation correspondait à la réalité. Il n’y avait pas un jour où je n’étais témoin de violence et de scènes d’humiliation. Sans cesse, les mêmes questions revenaient à mon esprit. Ne pouvait-on pas construire un monde nouveau sans faire autant souffrir nos adversaires ? Je songeais à ces Cathares qui avaient payé de leur vie le refus de renier leur foi. Mes supérieurs se moquaient de moi et dénonçaient mon manque de courage. Ils m’accusaient de ne pas être un bon national-socialiste, de trahir notre
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