Cathares
souriant.
— Faites comme chez vous, répondit Betty.
Ensuite, elle alla vers le mur pour contempler la photo de Joséphine Baker qu’elle connaissait pourtant par coeur. La ceinture en bananes, les grandes boucles d’oreilles des colonies, la coiffure à la garçonne avec son accroche-coeur sur le front et surtout ce petit sourire coquin qui faisait chavirer le coeur des hommes. Elle soupira.
— Joséphine ! Elle était une grande... Elle dansait, elle chantait et elle était capable de faire rire le public. Mais même quand elle louchait, elle restait élégante et séduisante. Rahn n’a jamais compris cela. Il ne voyait en elle qu’une négresse attardée. C’est dommage, je crois qu’il s’est trompé de vie. En fait, il était gentil, mais il s’est laissé monter la tête par tous ces bobards de race, de trésor des Cathares et de supériorité à la noix. Voyez où cela l’a mené !
— On dirait que vous l’aimiez bien, je me trompe ?
— Ouais, répondit-elle dans un sourire qui sembla pour la première fois mélancolique. Comme une grande soeur qui ne veut pas laisser tomber son petit frère. Mais c’est loin tout cela. Aujourd’hui, plus personne ne pense à lui à part vous. Dites donc, vous me faites toujours parler, mais vous, qu’est-ce qui vous pousse à remuer tout ce passé ?
Le Bihan était au volant de sa voiture. Tout en faisant attention à la route, il jetait de temps en temps un coup d’oeil sur les parois rocheuses qui s’élevaient de part et d’autre de la voie sinueuse. Il songea encore à la question que lui avait posée Betty. Qu’est-ce qui le poussait à remuer le passé ? Il avait été incapable de lui répondre.
49
Le Bihan avait jeté son dévolu sur un petit bar de Tarascon pour entreprendre la lecture des documents qu’il avait empruntés à Betty. Plus que tout, c’était le dossier « O.R. » pour Otto Rahn qui avait éveillé sa curiosité. Sous une couverture noire, une soixantaine de pages retraçaient l’itinéraire d’un homme éternellement suspect aux yeux de ses contemporains. Aucun détail ne semblait avoir été oublié. Avec une précision à la fois militaire et germanique, chaque étape, importante ou insignifiante, de sa vie était consignée. Son enfance avec une mère à la personnalité très affirmée. Ses études honorables, son premier voyage à Paris et ses rencontres avec les auteurs ésotériques à la Closerie des Lilas. Le rapport répertoriait ses bonnes et ses mauvaises fréquentations et expliquait les circonstances de son premier voyage dans le Languedoc. L’épisode de l’hôtel des Marronniers faisait l’objet de trois feuillets serrés et chaque membre du personnel avait droit à sa fiche signalétique. À côté du nom de Betty étaient précisés ses spécificités physiques ainsi que trois qualificatifs : « peu farouche », « avide » et « manoeuvrable ». Le rapport décrivait de la même manière quelques habitants d’Ussat-les-Bains et au premier rang d’entre eux l’incontournable Antonin Gadal.
Après les ennuis économiques de Rahn liés à la gestion de l’hôtel, c’est son adhésion à la SS et à l’Ahnenerbe qui faisait l’objet d’une description détaillée. Il avait droit à un long portrait psychologique sans fioriture. Il était décrit comme un homme doué d’un point de vue intellectuel, mais en même temps faible et instable. Il éprouvait parfois des difficultés à faire la part des choses entre ses fantasmes et la réalité. Il se distinguait par une grande capacité de persuasion et une impressionnante force de travail. Son manque de réalisme économique et ses talents d’écrivain faisaient l’objet d’un autre rapport. Mais ce fut surtout l’examen de sa vie privée qui retint l’intérêt de Le Bihan.
Otto Rahn était décrit comme un homme souffrant « d’une manifeste confusion des valeurs pouvant le mener à adopter des comportements invertis ». Pour étayer sa démonstration, Richard Fritz citait de nombreux exemples de conversations privées entre les deux hommes. Otto Rahn y faisait état de son manque d’intérêt pour les femmes et de son admiration pour l’incarnation du héros aryen. Prenant tour à tour les références de Wilfried et de Tannhauser, il paraissait vibrer à la seule évocation de ces personnages masculins qui peuplaient son imaginaire. Fritz allait jusqu’à préconiser un internement de type thérapeutique
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