Ce jour-là
Chacun avait sa méthode pour tuer le temps. Il nous restait encore deux jours à patienter avant de partir, si la mission était approuvée.
Le lendemain, je suis allé au hangar avec Will et deux gars de son équipe pour rencontrer les pilotes. Nous avions déjà travaillé avec les types du 160 e Régiment d’aviation des opérations spéciales pendant les répétitions.
C’était d’ailleurs avec cette unité que nous collaborions presque exclusivement. À nos yeux, ils étaient les meilleurs pilotes du monde.
Teddy avait cinquante ans. Petit, les cheveux coupés court, il allait piloter Chalk One. Il nous accueillit à la porte. Nous avons fait le tour du Black Hawk avec lui et nous avons montré à Will le plan de chargement. Puis avant de partir, nous avons évoqué les imprévus. « Si les choses tournent mal et si je dois faire un atterrissage d’urgence, je ferai de mon mieux pour me poser dans la grande cour à l’ouest », dit Teddy.
Nous l’appelions la Cour Echo ; c’était la plus grande de toute la résidence. Pilote chevronné, Teddy savait bien que si son hélico était touché ou avait un problème technique, cette cour serait sa meilleure option.
« Ne vous en faites pas, lui dis-je. Nous avons déjà eu notre part de casse. Si un appareil doit s’écraser, ce sera Chalk Two. »
Je ne m’étais jamais crashé, mais sept des douze SEAL de Chalk One oui. Seuls deux hommes de Chalk Two pouvaient en dire autant. Nous disions en plaisantant que les statistiques jouaient pour nous.
Notre fenêtre de tir était réduite. La lune montait la semaine prochaine. Nous n’aurions pas de conditions aussi favorables avant un mois. Sans compter qu’une fois que tout était en place le risque de fuites augmentait tous les jours. Ces trois dernières semaines, depuis que nous avions commencé les préparatifs, le nombre de personnes au courant de l’opération s’était multiplié de façon exponentielle.
Le JSOC accroissait son activité. McRaven arrivait en Afghanistan, ce qui en soi n’était pas une nouvelle, mais il venait à Jalalabad – ce qui en était une. Le colonel des rangers qui dirigeait les opérations quotidiennes au centre de Bagram fut mis au courant, ce qui ajoutait encore d’autres personnes à la liste de ceux qui savaient.
À Washington, le principal souci était le degré de fiabilité des renseignements. Contrairement à Jen, les autres analystes n’étaient sûrs qu’à soixante pour cent que Ben Laden habitait bien dans la résidence d’Abbottabad.
En Afghanistan, nous ne nous préoccupions pas des états d’âme de Washington. Nous avions un briefing par jour. Des drones de surveillance survolaient le périmètre. Nous devions aussi lutter contre la Fée aux bonnes idées. Elle apparaît plus ou moins souvent selon les missions, et elle n’est pas notre amie. Elle se montre quand les chefs ont trop de temps pour penser. Le risque est que les officiers et ceux qui conçoivent les plans échafaudent des scénarios irréalistes dont il faut nous dépatouiller sur le terrain.
« Tu sais pas la dernière ? Ils veulent qu’on prenne un porte-voix pour contrôler la foule », ça venait du chef d’équipe chargé de la sécurité extérieure. « C’est du même niveau que le coup du gyrophare ! »
Un peu avant, les chefs avaient proposé que l’équipe de sécurité place un gyrophare dans un véhicule de Ben Laden pour faire croire que l’activité qui régnait autour de la cible était une simple opération de police.
« Alors j’ai dit : “Hé, monsieur, on va la pousser dehors la voiture, c’est ça ?” Parce qu’il ne va pas nous donner les clefs, à mon avis. Et si le volant est bloqué ? Et, quelle est l’équipe qui aura le temps de pousser une voiture, de la sortir de la résidence jusqu’au coin de la rue suivante ? Sans compter qu’un gyrophare éclairant notre position n’est peut-être pas souhaitable.
— De quelle couleur sont les gyrophares au Pakistan ? j’ai demandé.
— Aucune idée. C’était ma question suivante. Puis nous avons parlé d’Ali pendant une demi-heure. »
Ali était l’interprète de la CIA attaché à l’équipe de sécurité extérieure. Il parlait le pachtoun, la langue la plus courante dans la région. « La Fée des bonnes idées voudrait qu’il s’habille comme les civils du coin. Il va se retrouver entre un fusil-mitrailleur et moi. Nous, on sera en uniforme, alors quel
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