Ce jour-là
tous ceux qui la regardaient. Ils l’étudiaient intensément avant le briefing. C’était stupéfiant à quel point elle attirait les regards, à quel point on avait du mal à s’en détacher.
Une partie du briefing concernait quoi faire si l’opération tournait au désastre et si les autorités pakistanaises nous arrêtaient.
Le président nous avait donné le feu vert pour nous protéger en cas de conflit avec les militaires pakistanais. Nous nous enfoncions profondément dans le Pakistan et nous avions besoin d’un prétexte, au cas où nous serions détenus.
« OK, les gars, dit l’officier. Voici ce qu’on vous a concocté. Vous êtes en mission de reconnaissance et recherchez une plate-forme ISR abattue. »
En langage militaire, une plate-forme ISR est un drone. En résumé, nous devions raconter aux enquêteurs pakistanais que l’armée américaine avait perdu un de ses drones.
Nous avons tous éclaté de rire.
« C’est ce qu’ils ont trouvé de mieux ? lança quelqu’un du fond de la pièce. Pourquoi ne pas nous donner aussi un porte-voix et une sirène de police, juste au cas où ? »
Ce prétexte était nul. Sur le papier, nous étions alliés avec le Pakistan, et si nous avions perdu un drone, le Département d’État aurait négocié directement avec le gouvernement pakistanais pour le récupérer. Jamais les Pakistanais n’avaleraient cette histoire, et il serait très difficile de s’en tenir à cette version pendant des heures d’interrogatoire.
Au moins ça nous faisait rire. Peut-être s’imaginaient-ils que l’humour nous permettrait de tenir. La vérité était que si on en arrivait à ce stade, aucun bobard n’expliquerait pourquoi vingt-deux SEAL, avec vingt-cinq kilos de matériel high-tech sur le dos, plus un artificier et un interprète, sans parler d’un chien de combat, étaient en train d’envahir un quartier de banlieue juste à côté de l’Académie militaire du pays.
À la fin du briefing, l’officier qui commandait le DEVGRU est entré. Ce capitaine à la chevelure argentée avait perdu une jambe dans un accident de parachute, des années auparavant. Quand il s’est avancé sur le devant de la salle de conférence, c’est à peine si j’ai remarqué la légère claudication due à sa jambe artificielle.
L’officier qui avait conduit le briefing jusqu’ici lui a laissé la place. Les rires et les commentaires sur le faux prétexte s’évanouirent peu à peu et la salle devint silencieuse.
« OK, les gars, nous dit notre commandant. Je viens d’avoir McRaven au téléphone. Il vient lui-même de parler au président. L’opération a été approuvée. Elle démarre demain soir. »
Il n’y a pas eu d’acclamations, pas de claques dans les mains. J’ai regardé les potes assis à côté de moi. Les camarades avec qui j’étais parti en mission pendant des années.
Putain de merde … Je n’aurais jamais cru que ça allait arriver.
Fini les briefings.
Fini la Fée aux bonnes idées.
Mais surtout, fini l’attente.
12 L E J OUR J
Impossible de dormir.
Je venais de passer deux heures à me retourner dans tous les sens. Je n’avais pas trouvé la paix, ni sur mon dur matelas ni dans ma tête. C’était le Jour J. Impossible d’échapper à l’importance de la mission.
J’ai tiré le poncho de camouflage qui me servait de rideau, j’ai étiré mes jambes et me suis frotté les yeux. Au bout de trois jours à essayer de ne pas penser à la mission, je focalisais là-dessus maintenant. Si tout se déroulait comme prévu, dans moins de douze heures nous serions au Pakistan en train de descendre à la corde lisse sur la maison de Ben Laden.
Je ne me sentais pas fatigué. La seule preuve que j’avais dormi était l’emballage vide des deux sédatifs et les bouteilles vides à présent remplies d’urine. Comme nous étions installés dans des baraquements temporaires, les toilettes les plus proches se trouvaient à cent mètres. Raison pour laquelle je gardais les bouteilles de Gatorade (11) et les bouteilles d’eau vides pour pisser dedans. Pratique courante. Nous branchions nos lampes frontales et nous nous soulagions sans nous réveiller vraiment.
Physiquement je me sentais frais, mais j’étais très tendu. Pas à cran, mais nerveux. L’alternance des périodes d’attente et d’accélération était usante. Nous étions heureux que cette attente touche à sa fin.
Prenant soin de ne pas réveiller mes camarades qui
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