Ce jour-là
intérêt ? »
La logique avait fini par gagner. Nous n’avons pas pris de gyrophare et Ali est resté en uniforme.
Ce genre de truc est classique quand les planificateurs commencent à s’ennuyer. La CIA nous a demandé d’emporter une caisse de plus de vingt kilos contenant un appareil qui bloquait les liaisons par téléphone portable. Le poids est un problème constant, aussi cette bonne idée a vite été abandonnée. Si on nous rendait le temps que nous avons passé à nous bagarrer contre la Fée aux bonnes idées, nous pourrions, j’en suis sûr, récupérer quelques années de vie.
La deuxième nuit, je me suis installé près de la cheminée pour siroter un bon café avec Charlie et Walt. Nous avons débattu de la question du jour : dans quelle partie du corps nous devions essayer de toucher Ben Laden ?
« Essaie de ne pas atteindre cet enfoiré à la figure, me dit Walt. Tout le monde va vouloir voir sa photo.
— Mais s’il fait sombre et que je ne voie que sa tête, je ne vais pas attendre de vérifier s’il porte une ceinture d’explosifs », observa Charlie.
J’ai pris la parole. « Ces photos seront parmi les photos les plus regardées de tous les temps. Si on a le choix, tout ce que je peux dire c’est : tirez en pleine poitrine.
— Plus facile à dire qu’à faire.
— N’oublie pas de tirer vers le haut, dis-je à Walt. Vu que tu lui arrives tout juste à hauteur des couilles. »
Nous pensions à Elijah Wood pour le rôle de Walt, vu qu’il n’était pas plus grand qu’un hobbit.
Faire le casting du film Ben Laden était une plaisanterie récurrente. Qui jouerait qui dans le film tiré de la mission, qu’Hollywood ne manquerait pas de faire ? Personne n’était encore Brad Pitt ou George Clooney. Mais nous avions un rouquin dans l’équipe ; Carrot Top (10) l’incarnerait à la perfection. Au moins Walt aurait le rôle de Frodo, ce qui était mieux que celui d’un comique de seconde zone.
« Et si tout ça marche, Jay va décrocher son étoile », dis-je.
Personne n’ignorait que pour des officiers comme Jay, le succès du commando ferait leur carrière. Jay aurait toutes les chances de finir amiral. Mais pour les soldats de la base, ça n’avait rien de spécial, c’était juste une opération de plus.
« Et nous serons sûrs de faire réélire Obama, dit Walt. Je le vois déjà en train de raconter comment il a tué Ben Laden. »
Nous avions déjà assisté à cela quand il s’était attribué le mérite du sauvetage du capitaine Phillips. Nous soutenions à fond la décision qu’il avait prise, mais nous savions qu’il en tirerait tout le crédit politique possible.
Nous savions aussi que tout cela nous dépassait et dépassait même le cadre de la politique. Officiers et politiciens en retireraient des bénéfices, certes, mais ça ne refroidissait en rien notre enthousiasme. Ainsi fonctionnait le monde. Notre récompense c’était de faire le boulot et nous n’aurions pas voulu qu’il en soit autrement.
Alors que l’aube approchait, le feu s’éteignit dans la cheminée et nous nous sommes séparés pour essayer de prendre quelques heures de sommeil. Étant donné que nous opérions de nuit, la majorité de la population du JSOC dormait le jour. J’ai pris deux sédatifs. Personne n’arrivait à se reposer sans ses petites pilules. On avait beau essayer de se dire que c’était une mission comme les autres, ça ne marchait pas. L’attente ne devait durer que deux jours, mais elle paraissait interminable.
En principe, le troisième jour était le Jour J, mais la couverture nuageuse a retardé notre départ. Nous n’en avons pas fait un drame. Il y avait toujours des retards, rien de surprenant. Un retard valait mieux qu’une annulation. McRaven tenait absolument à ce que les drones puissent surveiller la résidence au cas où Ben Laden partirait pendant que nous étions déjà en route. Et c’était impossible avec les nuages.
Nos briefings quotidiens se tenaient dans une salle toute en longueur avec des rangées de bancs au milieu, comme dans une église. Devant, il y avait des écrans plats pour les présentations au PowerPoint et pour nous montrer les images recueillies par les drones ou les satellites.
Mais aujourd’hui, les écrans étaient éteints. J’étais assis à côté de Charlie sur l’un des bancs du fond. Plusieurs SEAL de l’autre escadron s’attroupaient autour de la maquette – elle fascinait
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