Ce jour-là
dormaient encore, j’ai quitté ma couchette et me suis habillé. Certains ronflaient paisiblement. J’ai pris mes lunettes noires et suis sorti. Le soleil m’est tombé dessus comme un marteau-pilon. J’avais l’impression de sortir d’un casino de Las Vegas après avoir joué toute la nuit.
Il m’a fallu une seconde ou deux pour m’acclimater, mais vite, j’ai pris plaisir à sentir le soleil de la fin de l’après-midi sur mon visage et mes bras. Je me suis dirigé vers la cantine. J’ai regardé ma montre : pour ceux qui vivaient à l’heure des vampires c’était le matin.
Mais pour le reste de la base, c’était le milieu d’une journée de travail. Le grondement constant des hélicoptères fournissait la bande-son. Pendant que je marchais, un camion pompe à merde qui venait de vider une série de sanisettes est passé à côté de moi. L’odeur âcre du désinfectant a empli l’air pendant quelques instants.
J’ai gardé la tête baissée, ai suivi le chemin de gravier jusqu’au premier portail. Le gravier permettait de réduire la poussière. Chaque unité changeait la combinaison des portails à son arrivée. J’ai pris le bout de papier avec le code dans ma poche. J’étais encore un peu vaseux à cause des sédatifs. J’ai composé le code, mais le loquet a refusé de bouger.
Raté.
Il m’a fallu trois essais pour y parvenir.
Tiens bon jusqu’au petit déjeuner, me dis-je.
Je suis revenu aux méthodes que j’employais à Green Team. Penser à l’ensemble du tableau faisait craquer. La seule manière de survivre était d’arriver à la fin de la journée, un repas après l’autre. À quelques heures de la mission la plus monumentale de ma carrière, je me concentrai donc sur une seule chose : le petit déjeuner.
Le succès s’atteint pas à pas.
À la cafétéria, je me suis lavé les mains sous un jet d’eau froide. La puanteur de friture rance était tenace ; elle s’accrochait aux vêtements. L’endroit avait encore les décorations de Noël collées aux murs en béton. Une affiche délavée des années soixante-dix avec les quatre groupes d’aliments occupait presque tout le panneau des bulletins, à côté du menu du jour.
J’étudiai l’alignement des buffets en inox. Des civils en tablier servaient les céréales et le bacon.
Rien de bien alléchant. Le bacon contenait plus de gras que de chair et était imbibé de graisse. Mais j’avais besoin d’énergie. J’ai rejoint le gril, où plusieurs types attendaient déjà. Un cuistot a glissé une omelette roulée, dégoulinante de beurre, sur l’assiette du type devant moi.
« Quatre œufs, j’ai demandé au cuistot. Brouillés, s’il vous plaît. Avec du jambon et du fromage. »
Pendant que l’homme préparait mes œufs, je me suis servi quelques toasts et des fruits. La sélection était la même à chaque mission : de grands plateaux de melons jamais mûrs, orange foncé pour les uns et d’un vert quasi chimique pour les autres. Lors de ma dernière visite, j’avais vu un carton dans le couloir de la cafétéria sur lequel il y avait l’étiquette : « R ÉSERVÉ UNIQUEMENT À LA PRISON ET AUX MILITAIRES » . Bien vu.
Personne ne se joignait aux militaires pour les repas.
J’ai pris deux tranches de pain que j’ai glissées dans le grille-pain modèle collectivité, et ai ajouté une pile de tranches d’ananas à mon plateau. Vu qu’ils sortent de la boîte, ils sont toujours mûrs. J’ai récupéré mes œufs et complété mon plateau avec un bol de flocons d’avoine aux raisins.
Des yeux, j’ai parcouru les longues rangées de tables de la salle. Le murmure des conversations, plus le bruit de la télé grand écran posée dans un coin et calée sur une chaîne d’infos, créaient un brouhaha monotone. J’ai repéré des camarades de mon équipe et suis allé poser mon plateau près d’eux avant de repartir me chercher du café.
La cafétéria était réservée au personnel du JSOC, mais tous n’étaient pas au courant de la mission.
Tout en poivrant mes œufs, je marmonnai un vague « Hello » à mes coéquipiers. Charlie et Tom me répondirent sur le même ton. Personne n’avait envie de faire la conversation. Nous étions plus à l’aise perdus dans nos pensées.
« T’as passé une bonne nuit ? j’ai demandé à Charlie.
— Non, à chier.
— T’avais pris tes somnifères ?
— Oui, deux Ambien.
— Vois le bon côté des choses. Au moins
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