C'était de Gaulle, tome 3
utile.
Pompidou s'ingénie d'abord à me faire parler.
Pompidou : « Quelle est votre explication de ce phénomène étrange : pourquoi les mêmes drames ont-ils éclaté pour ainsi dire en même temps dans les universités, aux États-Unis et en Allemagne, en Italie et en Espagne, en Tunisie et en Égypte, à Alger et à Varsovie, à Prague et à Tokyo, à Rio et à Amsterdam ? Alors que ce sont des régimes politiques et même des civilisations tellement différents ?
AP. — Partout dans le monde, il y a une croissance rapide des effectifs scolaires et universitaires. Partout, se pose un problème d'adaptation à une société en mutation. Partout, un fossé se creuse entre les générations nouvelles et celles qui les ont précédées. Cela fait un terrain de frustrations, de doute, d'incertitudes. Et là-dessus, il y a eu une contagion, qui s'est répandue d'est en ouest et du nordau sud, grâce à des groupuscules révolutionnaires très peu nombreux mais très actifs et en relations étroites entre eux ; notamment entre Allemagne, France, Pays-Bas, Italie.
Pompidou. — Mais chez nous la contagion s'est étendue jusqu'à la société. Partout ailleurs, elle s'est arrêtée aux portes des facultés. Comment vous expliquez-vous que, dans un mouvement aussi général, la France fasse exception — c'est-à-dire qu'elle se comporte beaucoup plus mal ?
AP. — C'est notre extrême centralisation qu'il faut incriminer, ne croyez-vous pas ? Notre système n'a pas assez de souplesse. Sous la III e et la IV e , le gouvernement sautait. Sous la V e , tout remonte au sommet. Tocqueville disait : "Il n'y a que Dieu qui puisse, sans danger pour lui, être tout-puissant." Une émeute d'étudiants à Berkeley ou Columbia, c'est le président de l'université qui gère la situation, qui fait appel ou non à la police. Nul ne songe à s'en prendre au gouvernement américain, encore moins au Président. En France, un chahut à Nanterre ou l'invasion de la Sorbonne par des extrémistes armés, et le gouvernement est en première ligne, l'Élysée est ébranlé sur ses bases. C'est si vrai que nous n'en avons même pas été étonnés.
« Et puis, je vous l'ai dit quand vous nous avez réunis à votre retour de Kaboul : le pari que vous avez fait, celui de permettre à des révolutionnaires d'occuper la Sorbonne sans contrepartie, nous exposait au risque de contagion. »
Pompidou : « L'effet de surprise a joué en faveur des étudiants »
Pompidou fait de la main le mouvement de chasser négligemment une mouche : « L'effet de surprise a joué en faveur des étudiants. Ni les Français, ni nous-mêmes ne nous attendions à ce déferlement. Il fallait que le peuple se rende compte par lui-même que ces révolutionnaires étaient cinglés et qu'on devait les mettre hors d'état de nuire. C'est ce qui s'est fait. On ne pouvait pas faire l'économie de cette prise de conscience. On ne pouvait pas se passer de l'éducation du public, et elle ne pouvait pas mieux se faire.
(Il dit "les étudiants" — pas les "gauchistes". Je ne relève pas ; je ne réponds pas non plus que l'effet de surprise n'aurait pas dû jouer sur nous, puisque les notes quotidiennes de la préfecture de police nous indiquaient clairement que des révolutionnaires préparaient la révolution. Nous savions tout à l'avance. Nous n'aurions pas dû confondre les révolutionnaires et les étudiants, ni répandre cette confusion par notre propre langage.)
Pompidou : « J'ai mis les Français de mon côté »
AP. — Aujourd'hui, avec le recul, il me semble qu'on peut établir sans se tromper la séquence suivante :
« 1. Les groupuscules gauchistes issus des Jeunesses communistes malheureusement éclatées, ont infiltré le milieu étudiant entre 1966 et 1968. Ils prennent la révolution au sérieux, ils s'y entraînent.
« 2. Cohn-Bendit, à partir de janvier 1968, les coiffe, les galvanise ; il leur donne une vedette, qui entraîne les uns et amuse les autres.
« 3. La semaine d'émeutes, du 3 au 10 mai, montre que Cohn-Bendit et ses "enragés" ne sont prêts à aucun compromis, ne se prêtent à aucune désescalade. Ils veulent la déroute et la déconsidération du pouvoir.
« 4. Dans ce climat, la réouverture de la Sorbonne est interprétée par les meneurs, et ceux qui regardaient depuis la ligne de touche, comme une capitulation sans condition.
« 5. Les jours suivants, les jeunes gauchistes de Renault-Cléon, de Sud-Aviation et de l'Odéon
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