C'était De Gaulle - Tome I
décident.
Sudreau. — Je dois signaler un fait pénible. Un directeur d'école était aimé de tous. On l'a supplié de rester après le 1 er juillet. C'était le chef de file de ceux qui voulaient rester. Il a été enlevé. L'émotion est grande chez les enseignants.
GdG. — Il y a des gens qui ne veulent pas des accords d'Évian. Les uns parce qu'ils n'ont pas encore compris que c'était l'intérêt de l'Algérie autant que de la France ; les autres par fanatisme pur. Ils sabotent. Farès ou pas Farès, il faut leur tenir la dragée haute.
« Il n'y a pas lieu d'être satisfait. C'est le gros malheur si Farèsrepart sans avoir signé les protocoles, le gros malheur pour eux et le gros malheur pour nous. »
Robert Boulin annonce que, depuis le 1 er janvier jusqu'au 19 août, 533 000 personnes sont revenues d'Algérie.
Pompidou déclare avec fermeté, reprenant solennellement un propos que le Général avait mal accueilli la première fois: « Les rapatriés qui vont passer l'hiver en France seront sans doute beaucoup plus nombreux qu'il n'avait été prévu d'abord. Si la tension continuait à s'aggraver, il nous serait impossible de loger ceux qui arriveront encore; les internats occupés pendant les vacances vont devoir être libérés.
«La plupart des rapatriés sont sur la côte méditerranéenne, surtout autour de Marseille. On ne peut pas leur imposer des interdictions de séjour, ni des résidences forcées, ni des résidences interdites: ce serait contraire aux droits élémentaires des Français. Il vaudrait mieux des mesures d'incitation très fortes... Nous arrivons le mois prochain à la fin des pouvoirs du gouvernement de légiférer par ordonnances. »
« Il faut trouver une solution par ordonnances»
Le Général n'est pas content: « Le référendum d'avril dernier a été fait pour que j'aie les moyens de faire ce qu'il faut faire 1 . Ce problème des repliés n'est pas neuf. J'ai toujours pensé qu'il y en aurait 350 000. C'est ce à quoi on arrivera.
Pompidou. — Je crains que, finalement, ils ne soient pas 350 000, mais plutôt 550 000, peut-être même davantage.
GdG. — Raison de plus pour organiser les choses avec détermination et méthode.
Boulin. — Beaucoup sont dans l'expectative: ils préfèrent rester dans la région de Marseille, parce qu'ils espèrent rentrer en Algérie. Le jour où ils seront convaincus qu'ils ne peuvent pas rentrer, il faudra les recaser.»
De Gaulle est décidé à bousculer tout le monde: «Il faut se réserver dans les textes la possibilité des interdictions de séjour! Sinon, la position sera impossible à tenir à Marseille! Il faut trouver une solution par ordonnances! Demander à l'Assemblée et au Sénat de voter des lois contraignantes? Vous voyez ça d'ici! On aurait des torrents de démagogie!
Pompidou. — Mais à quel titre exercer ces contraintes, mon général ? On ne peut tout de même pas assigner des Français àrésidence! Les rapatriés qui sont autour de Marseille ne créent aucun problème d'ordre public. On ne peut pas les sanctionner!
GdG. — Si ça ne colle pas, il faut qu'on se donne les moyens de les faire aller plus loin! Ça doit être possible sous l'angle de l'ordre public.
Frey. — J'ai les moyens d'intervenir s'il y a des manifestations à Marseille.
GdG. — Vous pouvez en coffrer quelques-uns. En tout cas, il faut que vous vous en donniez les moyens.
« Quand une route est encombrée, on dévie les voitures sur une autre route. Pourquoi ne ferait-on pas la même chose par ordonnance ? La notion d'ordre public devrait être étendue à l'habitat, aux écoles. La loi nous oblige à accueillir les enfants dans des écoles. Et s'il n'y a pas de place? Ça devient donc un problème d'ordre public.»
Pompidou fait marche arrière : «En effet, la notion d'ordre public n'est pas réservée au cas où des gens assomment les agents de police. Si un rapatrié ne veut pas aller à Concarneau, on peut l'y obliger. On peut prendre des mesures pour refuser des étudiants et des élèves là où on n'a pas de places pour eux, et les mettre là où on a de la place. C'est au secrétariat d'État aux déportés d'y veiller. »
L'atmosphère est si lourde, autour de la table du Conseil, que personne ne songe à sourire du lapsus de Pompidou. Il reprend: « Nous sommes sûrs, par les réquisitions, de pouvoir établir les rapatriés quelque part. Mais il vaut mieux des conventions que des réquisitions. Il faut
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