C'était De Gaulle - Tome I
privilégier les procédures amiables.»
Pathétique face à face. D'un côté, le Général, sombre, portant à bout de bras une décision historique qui lui a été odieuse, à laquelle il a résisté quatre ans, après avoir exploré toutes les autres possibilités — solution militaire, pourparlers clandestins, plan de développement rapide de l'Algérie... Avant tout, «le salut de la patrie ». Il sait que le temps lui est compté pour régler l'affaire et ne veut pas risquer de partir sans l'avoir fait.
De l'autre, les ministres : soucieux de légalité, préoccupés des réactions de l'opposition, de la presse, du Conseil d'Etat, du Conseil constitutionnel... et qui risqueraient de s'enliser dans leurs hésitations ou leurs scrupules, si le Général ne les houspillait pas.
« Il faut toujours pouvoir faire face à des situations inattendues»
Frey exprime son inquiétude à propos de la criminalité qui se développe parmi les jeunes rapatriés. Boulin demande si on ne pourrait pas faire, pour eux, un appel sous les drapeaux anticipé.
Sudreau : « Il y a un hiatus entre la fin de la scolarité à quatorzeans et le début de la formation professionnelle à dix-neuf ans. C'est l'âge des blousons noirs, qui sont une graine de violence. Il faudrait pouvoir les encadrer. Mais comment?
Pompidou. — Oui, au-delà de l'âge scolaire, il y a un problème de danger moral. Il faudrait un texte qui ait une portée générale et qui concerne tous ceux qui ne font pas d'études, ne vont pas en apprentissage et n'ont pas d'emploi; qu'ils soient rapatriés ou pas. Il s'appliquerait particulièrement aux blousons noirs de Marseille en provenance d'Algérie. Mais, au moins, il n'y aurait pas de discrimination légale entre Français.
GdG. — Vous avez raison. Il faut toujours pouvoir faire face à des situations inattendues, mais sans porter atteinte au principe de l'égalité. Dans les ordonnances à préparer, trouvez donc un libellé qui permette de viser les cas extrêmes; sans qu'on ait besoin de se retourner vers le Parlement pour demander une nouvelle loi: nous n'en sortirions pas.»
« Si nous leur rentrons dans le chou, la guerre va recommencer »
Après le Conseil, le Général me déclare: « Ne vous y trompez pas, l'ALN fait l'épreuve de force. Elle s'est mis à dos tout le monde. Jeanneney se débat comme il peut. On n'arrive même pas à téléphoner à Rocher Noir. Les militaires arabes ont le bâton. Mais si nous leur rentrons dans le chou, la guerre va recommencer. »
Je lui propose le texte de la déclaration que je m'apprête à faire à propos des rapatriés et des réquisitions. Il le corrige.
« Faites comprendre à vos journalistes que nous allons prendre des mesures pour faciliter l'intégration des repliés dans la vie en France. C'est dans l'intérêt des repliés comme dans celui des métropolitains.
« Un texte permettant la réquisition d'hôtels de tourisme et de résidences secondaires donnera à l'administration les moyens nécessaires au logement de tous les repliés. Ces mesures s'imposent du fait que la situation rend aléatoire le retour en Algérie avant l'hiver de beaucoup de repliés.»
Mais il insiste pour que j'annonce des mesures coercitives (il veut ainsi atteindre un point de non-retour) :
« Un petit nombre d'agitateurs et de dévoyés entendent continuer en métropole les agissements que l'état de guerre avait favorisés en Algérie. Le devoir du gouvernement est non seulement de protéger la métropole contre la contagion des hold-up et des crimes, mais aussi d'éviter que les exactions de quelques-uns ne dressent la population métropolitaine contre les repliés.
«Des mesures sont donc prévues, permettant par exemple d'appeler sous les drapeaux par anticipation des jeunes gens qui ne font pas d'études ou d'apprentissage, et qui n'auraient aucun emploi; ou encore, d'éloigner d'un certain nombre de localités surchargées les repliés qui n'auraient ni emploi, ni logement, et qui refuseraient ceux qui leur sont offerts dans d'autres départements.
AP. — Il serait injuste de représenter les rapatriés comme des brebis galeuses. Il s'agit au contraire de les protéger contre les brebis galeuses.
GdG. — Oui, oui, soit. Mais dites plutôt qu'il est de l'intérêt des repliés de se désolidariser d'une infime minorité de blousons noirs, de gangsters ou d'agitateurs.
« Ah! Encore! Radio-Luxembourg fait de l'excitation à propos de l'Algérie et
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