C'était De Gaulle - Tome I
Les mêmes états-majors déclaraient, entre le printemps et l'automne, que vous aviez fait votre temps, c'est-à-dire la guerre d'Algérie.
GdG (nouveau rire). — L'Histoire se répète. La guerre finie, je devais céder la place aux professionnels ; je ne faisais pas partie de la corporation. Il fallait donc attendre qu'ils aient fait la preuve de leur incapacité à gérer la France.
« Et puis, vous savez, quand un événement a eu lieu, on imagine comment on aurait pu l'aborder si on avait déjà connu la suite. Vous voyez ce que je veux dire ? L'expérience, ça ne se remplace pas. Depuis 1940, j'avais été accaparé par la guerre. Je n'avais pas eu le temps de peaufiner une Constitution. »
Pendant les douze années et demie qui ont séparé son retrait de son retour, il s'est mis précisément en mesure de réussir là où il avait échoué. Dès février 1946, il se lança dans l'étude du droit constitutionnel, dont il ignorait tout. Il eut des entretiens répétés avec des constitutionnalistes comme Marcel Prelot, René Capitant, Léon Noël. Il lut des piles de livres. En trois mois, il avait précisé sa doctrine, bâti sa Constitution : ce fut, le 16 juin 1946, le discours de Bayeux. Il savait désormais ce qu'il voulait. Il marchait en terrain connu et reconnu. Il avait pris ses résolutions.
« Tenir en haleine une armée de compagnons »
Puisqu'il semble, ce qui est rarissime, dans une humeur d'autocritique, je reprends : « Est-ce que ça n'a pas été une erreur de créer le RPF ?
GdG. — Il fallait bien faire quelque chose ! Le RPF a été un demi-succès, ou un demi-échec. Il a permis de tenir en haleine une armée de compagnons. Il a permis de se préparer à ressaisir le pouvoir. Il a laissé les choses mûrir.
(Pourtant, de Gaulle, aux yeux de beaucoup de ceux qui l'avaient suivi, descendait de son piédestal. Il refusait les institutions. C'était donc un "général factieux". Il rejoignait ceux que les "bons républicains" réprouvaient comme "ennemis de la République", le général Boulanger, le colonel de La Rocque, Maurras.)
AP. — On vous aurait mieux suivi si, en ce dramatique dimanche 20 janvier 1946, vous aviez expliqué aux Français pourquoi vous étiez obligé de partir, et si vous aviez dénoncé les partis qui voulaient vous ligoter. Ça aurait annoncé le sens de votre combat. On n'a pas compris. Est-il vrai que Vincent Auriol vous a dissuadé de vous expliquer ?
(Vincent Auriol avait, dans l'après-midi du 20 janvier, mis en garde le Général — en lui envoyant son directeur de cabinet, Forgeot — contre l'intention qu'on lui prêtait de s'adresser aux Français, à la radio, le soir même de son retrait ; il lui avait fait valoir que, dès lors qu'il avait annoncé sa démission, il n'était plus qu'un simple citoyen et n'avait nul titre à parler sur les ondes nationales. Une allocution au pays serait un coup d'État. Pourtant, il l'avait déjà rédigée. Elle manquera à jamais à ses Discours et messages. Peu versé dans les subtilités parlementaires, et un peu intimidé devant ces intransigeantes traditions républicaines 7 , de Gaulle a décommandé les micros déjà convoqués.)
GdG.— Si j'avais voulu parler aux Français, ce n'est pas Auriol qui m'en aurait empêché. Je ne lui avais pas demandé la permission de m'adresser aux Français le 18 juin 40.
« Il fallait que je reste sans tache »
AP. — En tout cas, en 1951, si vous aviez accepté de jouer les apparentements 8 , vous auriez raflé la mise. Vous seriez devenu président du Conseil. Vous auriez pu engager la procédure de transformation du régime. Vous auriez abrégé de sept ans les malheurs de la France. »
En lui posant ces questions, je sentais que non seulement je ne le fâchais pas, mais que lui, si souvent provocateur, appréciait qu'on le provoquât.
GdG : « Voyons ! Si je m'étais prêté aux apparentements, j'aurais accepté de me compromettre ! J'aurais pactisé avec le régime ! J'aurais renoncé à mes raisons de le combattre ! J'aurais piétiné mes principes ! Pour que j'apparaisse aux Français comme un recours, il fallait que je reste sans tache ! »
20 janvier 1946 - 1 er juin 1958 : d'une surprise à l'autre, plus de douze années perdues, avec lesquelles de Gaulle lui-même ne réussit jamais vraiment à se réconcilier. Comme si, sans se l'avouer, il se sentait coupable de ces trop longues vacances de la « légitimité ».
Il fut alors aimé ou
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