C'était De Gaulle - Tome I
des Gaules avaient aidé le vainqueur d'Alésia à franchir le Rubicon.
Y songeait-il lui-même ? Depuis la dissolution du RPF en 1953, il répétait à l'envi à ses visiteurs : « C'est fini, je ne reviendrai pas.» Mais, en août 1956, de passage à Tahiti, il avait déclaré aux anciens du bataillon du Pacifique : « J'aurai bientôt besoin de vous 1 . »
Pompidou : « Je connais de Gaulle mieux que personne à Paris »
Reviendrait-il ? Ne reviendrait-il pas ? On se posait de plus en plus la question depuis le début de 1958. Et sur la réponse, les plus proches du Général se sont trompés.
Paris, 13 mai 1958. Pierre Moussa 2 reçoit à dîner Robert Buron, Georges Pompidou et quelques hauts fonctionnaires. Dans l'après-midi, après un mois de vacance du pouvoir 3 , Pierre Pflimlin vient de présenter son discours d'investiture, impitoyable à l'égard de la IV e République et de sa Constitution. La conversation roule sur les nouvelles venues d'Alger, où un putsch est en train de se dérouler, et sur le seul homme qui paraît en mesure de dénouer la situation : de Gaulle.
Georges Pompidou met fin sèchement aux spéculations : « Vous vous trompez complètement. Vous ne connaissez pas de Gaulle. Moi, je le connais, probablement mieux que personne à Paris. Ôtez-vous cela de l'esprit. Le Général a renoncé une fois pour toutes au pouvoir. Il ne s'occupe que de la rédaction de ses Mémoires. Demain, précisément, il vient à Paris pour discuter avec son éditeur de la publication du dernier tome, qui paraît à l'automne. Rien d'autre ne l'intéresse. Faites l'économie de cette hypothèse. »
Les nouvelles d'Alger s'aggravant, Buron est parti en claudiquant vers la Chambre des députés toute proche, muni de cette information sans réplique, recueillie à la meilleure source.
La confiance est votée à Pflimlin dans la nuit. Gaillard dans la soirée, puis Pflimlin dans la nuit, délèguent au général Salan les pleins pouvoirs... pour réduire la rébellion dont il a pris la tête.
15 mai 1958. Un communiqué de De Gaulle montre que, pour interpréter le génie imprévisible du patron, son collaborateur le plus intime n'est pas à l'abri de l'erreur : « Devant les épreuves qui montent, je suis prêt à assumer les pouvoirs de la République. »
Quelques jours plus tard, Pompidou, rencontrant Olivier Guichard sur un trottoir, lui reprocha vivement de compromettre le Général dans une tentative sans avenir — et sans avoir aucunement été mandaté par lui.
Quelques jours encore, et Pompidou était prié par de Gaulle d'abandonner ses fonctions chez Rothschild pour venir diriger son cabinet ; ce qu'il fit séance tenante.
« Je ne pensais pas que le régime des partis tiendrait si longtemps »
Beaucoup plus tard, j'ai saisi l'occasion d'une croisière forcée dans le Pacifique — une tempête empêchant de procéder à l'explosion atomique à laquelle le Général venait assister — pour lui poser des questions auxquelles je n'arrivais toujours pas à répondre.
À bord du De Grasse, 6 septembre 1966.
AP : « En 46, quand vous vous êtes retiré, pensiez-vous qu'on vous rappellerait bientôt ? »
Le Général attend un peu avant de me répondre. Pourtant, il finit par dire doucement :
« Le régime des partis revenait en force. Je savais bien qu'il ne pourrait pas résoudre les problèmes qu'allait poser l'après-guerre. A vrai dire, je ne pensais pas qu'il tiendrait si longtemps et qu'il faudrait attendre d'être au bord de la guerre civile pour en finir avec lui.
AP. — Vous vous êtes retiré en disant que vous aviez mis la France sur les rails. Mais était-elle vraiment sur les rails ? Son économie était loin d'être tirée d'affaire. Pourquoi aviez-vous donné raison à Pleven contre Mendès ? Au même moment, en Belgique, Gutt 4 a appliqué la méthode sévère que préconisait Mendès, et ça a marché.
« La France est fragile »
GdG. — Les Français ne sont pas des Belges. Ils sont plus remuants et plus nombreux. La France est fragile. Il était plus facile d'appliquer un remède de cheval à huit millions de Belges qu'à quarante millions de Français.
AP. — À Bayeux, vous avez dessiné les grandes lignes de la V e République. Tout y était...
(Tout : la séparation des pouvoirs, la primauté de l'exécutif, un Président de la République en charge de l'essentiel, déterminant les grandes orientations, représentant la France face au monde, chef des
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