C'était De Gaulle - Tome I
à 1943, il devint de moins en moins nécessaire pour un gaulliste de se cacher.
Écouter de Gaulle à travers les brouillages, le reconnaître pour seul espoir de résurrection de la France, se soustraire à la réquisition, rendre des services à la Résistance, prendre le maquis, des dizaines de milliers de garçons de ma génération le firent entre 1942 et 1944. Beaucoup le firent avec plus d'éclat que moi. Aucun ne le fit avec moins de doutes 8 .
Le 8 mai 1945, quand de Gaulle s'écria : « C'est la victoire de la France », je sentis monter le même sanglot de joie et d'espérance que le jour, cinq ans plus tôt, où je l'avais entendu pour la première fois, sur le Poste parisien, au lendemain de la bataille de Montcornet. Qui d'autre que lui aurait pu rendre à la France écrasée sa dimension universelle ? Je pensai qu'il était entré dans ma vie pour ne plus en sortir...
1 Rassemblement du peuple français (RPF), parti gaulliste fondé et patronné par de Gaulle (1947-1953).
2 Union pour la nouvelle République, parti gaulliste créé pour soutenir l'action de De Gaulle (1958-1962). Voir la Liste des sigles en fin de volume.
3 Mes parents, aujourd'hui disparus, reparlèrent souvent de l'émotion qu'ils avaient partagée alors avec leurs enfants. Mon frère aîné, cinquante-quatre ans après, se rappelle avec autant de précision que moi cette scène que nous avons vécue côte à côte.
4 Comme ministre de l'Information, j'accompagne le Général dans un voyage en Champagne-Ardennes.
5 Historia , n° 336 de novembre 1974.
6 Pierre et Anne Rouanet, L'Inquiétude outre-mort du général de Gaulle, Grasset. 1985. (Dans Le Figaro du 30 octobre 1985, j'ai aussitôt salué avec bonheur ce remarquable travail d'enquête.)
7 De Gaulle n'était encore que colonel, bien qu'il commandât une division.
8 Un de mes camarades de classe, François Bluche, devenu brillant historien, et que je n'avais pas revu pendant ce demi-siècle, a raconté cela drôlement dans ses Souvenirs (Le grenier à sel. Éditions de Fallois, 1991).
Chapitre 3
« JE NE FAISAIS PAS PARTIE DE LA CORPORATION »
Pour ne plus en sortir ? Longtemps, j'ai cru qu'il en sortait, et pour toujours. Telles ces rivières des Causses qu'on voit disparaître dans une crevasse, sans se douter qu'on les retrouvera plus loin, resurgissant des profondeurs.
Ce que je n'avouai pas, ce soir d'octobre 1958, aux militants du Café du Commerce, c'est que j'avais perdu, pendant les douze années et demie où le Général n'était plus « aux affaires », la foi qui m'avait animé depuis 1940. La foudre tomba à mes pieds le 20 janvier 1946, quand j'appris qu'il avait convoqué ses ministres et les avait plantés là.
Quoi ! Il déposait le fardeau un mois après avoir été élu président du gouvernement par l'unanimité des députés ? Il partait, alors que personne n'aurait osé demander son départ ? Il laissait la France sans chef et sans direction, après avoir convaincu les Français qu'il était le seul à pouvoir tracer le chemin du redressement national ?
D'abord, je ne doutai pas qu'il allait s'expliquer le soir même. Les jours passèrent ; il ne sortit pas de son silence. Je crus à une ruse : il savait qu'on serait obligé de le rappeler bien vite, cette fois à ses conditions. Les mois passèrent. Personne ne faisait appel à lui. Si ruse il y avait eu, elle était éventée. L'espoir fuyait. Je finis par ôter son portrait de ma table de travail et le rangeai tristement dans un tiroir. Il avait cessé d'exister pour moi.
« J'aurai bientôt besoin de vous »
Sa mauvaise sortie jetait une ombre sur les pages lumineuses qui avaient précédé. Je m'enfermai dans ma déception.
Pourtant, en 1954, quand parut le premier tome de ses Mémoires de guerre, l'émotion revint, intacte comme au premier jour, devant cette formidable cohérence. Le deuxième tome, en 1956, apportait à nouveau la preuve d'une vision claire et d'une volonté fortement trempée.
Le prestige de De Gaulle s'en trouvait soudain rehaussé. Cependant, c'était moins une résurrection qu'un adieu : parmi les hommes de l'Histoire, il était l'un de ceux qui, après avoir fait l'Histoire, la contaient avec talent. D'autres, comme Napoléon,l'avaient faite avec génie mais contée sans talent ; d'autres encore, comme Retz, l'avaient bien contée mais mal faite. Lui, il renouvelait Jules César — et tout le monde n'avait pas oublié que les Commentaires sur la Guerre
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