C'était De Gaulle - Tome I
Général : « Du neuf et du raisonnable », « Servir et non pas se servir ».
Hier, au soir du premier tour, pendant que j'examinais les résultats épinglés dans le couloir de la préfecture, le préfet de Seine-et-Marne 3 , expert en électoralisme, m'a envoyé chercher : « J'ai essayé en vain de vous joindre. Le second tour ne fait pas de doute, mais le premier aurait été meilleur encore si vous aviez suivi le conseil que je voulais vous donner. Pourquoi diable avez-vous fait comme si de Gaulle n'existait pas ?
— Mais... il a interdit de se réclamer de lui !
— Quelle naïveté ! Les autres, vous croyez qu'ils se gênent ? Faites donc coller une affiche avec une grande croix de Lorraine et de Gaulle en grosses lettres. »
Marc Jacquet arrive en renfort : « Vous vous imaginez que nous devons obéir au Général parce qu'il nous a menacés d'excommunication ? Il l'a seulement fait pour rester au-dessus de la mêlée ! Jeune Éliacin ! Vous avez fait campagne dans vos 160 communes comme pour une élection cantonale, alors que c'est une élection politique ! Il vous suffit de dire et d'écrire : "Je suis pour de Gaulle et de Gaulle est pour moi." »
Les « compagnons » à l'Assemblée
Paris, 8 décembre 1958.
Les compagnons-députés se sont réunis dans la salle Colbert du Palais-Bourbon — laquelle est affectée au groupe le plus nombreux : à la stupeur du monde politique, c'est le nôtre. Ils se jaugent mutuellement selon le même étalon : l'ancienneté de leur engagement aux côtés du Général et l'intransigeance de leur fidélité. Leur foi n'a pas faibli entre 1946 et 1958 ; c'est au contraire la « traversée du désert » qui l'a trempée.
Ces combattants chevronnés me regardent, au mieux comme un bleu qu'il faut initier, au pis comme un intrus dont il convient de se méfier. De mon côté, je suis tout prêt à apprécier ce que leur dévouement apporte à de Gaulle.
Pour ces premiers pas de la V e République, le pouvoir législatif se met en place avant le pouvoir exécutif 4 . Les compa gnons se jettent avec voracité sur les places. La première, la présidence du groupe : Raymond Triboulet 5 est élu par acclamations.Pour la plus haute, le « perchoir » : Guichard 6 et Triboulet transmettent — mollement, m'a-t-il semblé — la consigne du Général de voter pour Paul Reynaud. Les « compagnons » sont décidés à montrer qu'ils ne sont pas inconditionnels. Paul Reynaud est éliminé. Ne restent en piste que le colonel Battesti, activiste d'Alger et député de Fontainebleau, et Jacques Chaban-Delmas.
Battesti : « Chaban, c'est la IV e ! C'est le symbole de tout ce contre quoi nous nous sommes battus ! C'est la pirouette et la girouette, c'est le compromis permanent ! C'est le contraire de De Gaulle !... Et puis Chaban est-il vraiment pour l'Algérie française ? Rien ne le prouve ! »
Battesti est si convaincu qu'il en bafouille. J'imaginais qu'on allait rire. Comme je connais mal les chers compagnons ! Battesti est vivement applaudi.
Mais Léon Delbecque, parlant dans un grand silence, lui porte un rude coup :
« S'il s'agissait de choisir selon l'admiration et l'affection que m'inspirent Battesti et Chaban, je serais bien embarrassé. Mais il faut choisir le plus apte à présider une Assemblée dominée par nos ennemis et nos faux amis, qui tous n'attendent que l'occasion de s'allier contre nous. Alors, les critères de choix, ce sont l'expérience de la vie parlementaire, l'habileté manœuvrière ! »
Chaban se lève : le sourire, l'élégance, le charme. Le groupe est séduit. Il ne lui manquera pas une voix.
Un peu d'étonnement, quand même : ces valeureux compa gnons se sont tous fait élire sur le nom du Général, malgré sa première consigne, publiquement fulminée ; et, à peine élus, ils bafouent sa deuxième consigne, en écrasant Paul Reynaud, son candidat. La presse les traite pourtant de « godillots 7 »...
De Gaulle au perchoir
Palais-Bourbon, 10 décembre 1958.
Aujourd'hui, installation de la nouvelle Assemblée nationale. Nous sommes placés par ordre alphabétique. Le hasard me met au premier rang des banquettes de gauche, au « banc des commissions » — lesquelles ne sont pas encore formées. À ma droite, un certain Peyret, un compagnon. À ma gauche, le banc du gouvernement, vide pour le moment. Le doyen d'âge est le chanoineKir, député-maire de Dijon, portant une soutane élimée, dont le noir a un peu déteint. Il attend,
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