C'était De Gaulle - Tome I
l'isolement. »
Pompidou : « Le Général a ça dans la tête »
Matignon, vendredi 15 février 1963.
Pompidou, après avoir laissé sortir ses collaborateurs, me retient : « On risque de vous parler de la reconnaissance de la Chine. Le Général a ça dans la tête. Mais n'en dites rien dans vos briefings, vous m'entendez, tant que ce n'est pas fait.
« L'influence chinoise est forte dans l'internationale des déshérités. Il y a les communistes riches — l'URSS et ses satellites d'Europe — et les communistes pauvres — les Chinois et autres Mongols, Nord-Coréens ou Vietnamiens. Le limes de Trajan 2 a été remplacé par le limes de l'Empire communiste d'Occident. Au-delà, il y a une pauvreté commune qui unit tous les pays sous-développés.
« L'Union soviétique et la Chine se disputent pour maintenir ces pays dans la mouvance de leurs communismes respectifs. À Bagdad, par exemple, les Chinois ont pris de l'influence dans le parti communiste irakien, qui revendique contre le régime bourgeois. »
Si Pompidou pense vraiment que les pays industrialisés — capitalistes ou communistes — sont du même côté du limes qui les protège des pays sous-développés, il n'est pas exactement sur la même longueur d'onde que le Général, et je comprends qu'il me recommande la discrétion : il doit espérer que, tôt ou tard, de Gaulle renoncera à cette idée qu'il a « dans la tête ».
« Les Chinois voudront retrouver leurs frontières de jadis »
Au Conseil du 13 mars 1963, Couve parle des « attaques verbales proférées contre les Chinois par Khrouchtchev, qui leur reproche même de passer l'éponge sur les agressions impérialistes qui ont été consacrées au XIX e siècle par des traités inégaux. En URSS comme en Chine, on campe avec intransigeance sur des positions doctrinales ».
À l'issue du Conseil, j'essaie d'en savoir plus.
GdG : « Moscou prétendait dire le droit en matière de relations entre les États. Or, Pékin s'affirme, veut avoir sa politique étrangère et refuse de dépendre de Moscou.
« Reprocher à la Chine de passer l'éponge sur les traités inégaux, c'est un peu fort ! Khrouchtchev ne veut pas savoir — ou n'a jamais su — que la Russie, puis l'URSS ont mis la main sur des territoires qui étaient jadis chinois : le Turkestan, la Kirghizie, la Mongolie, les provinces maritimes de Sibérie, le Kamtchatka. Il l'a peut-être oublié, mais soyez sûr que les Chinois ne l'ont pas oublié. Un jour ou l'autre, ils chercheront à retrouver leurs frontières de jadis, à la grande époque de la dynastie mandchoue.
« Ils commenceront par faire retomber dans leur mouvance Hong-Kong, Macao et Formose. Nehru, quand il a voulu mettre la main sur nos établissements de l'Inde et sur les comptoirs portugais, n'y est pas allé par quatre chemins. Il a envoyé ses chars et un ultimatum. Fatalement, un jour ou l'autre, les Chinois en feront autant. Puis, viendra le moment où ils se sentiront assez forts pour exiger le retour des régions concédées à la Russie. Mais ils ont l'éternité devant eux, puisqu'ils l'ont derrière eux.
AP. — Est-ce qu'il n'y a pas plus de coups à recevoir que d'avantages à gagner, si nous nous mêlons de ces querelles ?
GdG. — Nous n'avons pas à nous mêler de ces querelles ! Mais nous avons à être présents ! Présents partout ! Il y a quelque chose d'anormal dans le fait que nous n'avons pas de relations avec le pays le plus peuplé du monde, sous prétexte que son régime ne plaît pas aux Américains et que ça les dérangerait si nous y faisions notre entrée. » (Il rit de bon cœur.)
« Je n'ai jamais rien lu sur la Chine qui ne fût totalement pour ou totalement contre »
AP : « Vous m'avez dit un jour que la Russie boirait le communisme. Et la Chine ?
GdG. — Nous ne savons pas grand-chose sur la Chine. Ce qu'on en apprend est contradictoire. Il y a ceux qui détestent le régime et sont aveuglés par la haine. Il y a ceux qui sont enthousiasteset qui sont emportés par leur idéologie. Je n'ai jamais rien lu ni entendu qui ne fût ou totalement pour, ou totalement contre...
« La Chine est peut-être en train de boire le communisme. Je crois même qu'elle le boira, un jour ou l'autre, fatalement. Elle a sa masse, qui la protège des intrusions ; l'âme populaire s'y maintient, telle qu'elle a toujours été.
« Mais, de toute façon, si nous reprenons un jour des relations avec Pékin, nous ne reconnaîtrons pas un
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