C'était De Gaulle - Tome I
du pays, s'il abandonne ses responsabilités aux Américains, il perd sa légitimité, et donc son autorité. Il n'a plus le droit de décider, puisqu'il a renoncé au devoir de commander.
« L'esprit de corps, point trop n'en faut »
AP. — C'est pour ça que vous voulez rendre un esprit de corps aux trois armes, en renforçant le rôle de leurs chefs d'état-major ?
GdG. — Oui et non. L'esprit de corps, c'est bien. Mais point trop n'en faut. On revient de loin. Naguère encore, chaque régimentavait sa mascotte, son étendard, sa tradition, différents de la mascotte, de l'étendard, de la tradition du régiment voisin. Il faut en finir avec ce particularisme des unités. Mais on n'en finira pas sans transition ni étapes. La prochaine étape, c'est d'établir l'unité de chacune des trois armes et de faire comprendre aux trois, en les faisant travailler ensemble, qu'elles concourent à la même mission. C'est pour ça que j'ai voulu que les trois chefs d'état-major préparent côte à côte les missions et l'avenir des trois armes, alors que le secrétariat général de la Défense nationale était un grand machin qui échappait à tout le monde et qui finissait par vider les trois états-majors de leur contenu.
« Il ne faut tomber ni dans l'esprit d'intégration, ni dans l'esprit de corporation. Il faut retrouver l'esprit national. »
Au camp de Mourmelon, le 8 juillet 1962, après le défilé des troupes françaises et allemandes devant le chancelier Adenauer, le général Dodelier, chef de l'état-major particulier, me raconte que le Général avait retouché de sa main, en 1959, la formule rituelle par laquelle un officier général prescrit aux officiers, sous-officiers et soldats, marins ou aviateurs d'un régiment, d'un bâtiment de guerre ou d'une escadrille, d'obéir à un nouveau chef : « Vous le reconnaîtrez comme chef pour l'exécution des règlements militaires, le bien du service, l'observation des lois et le succès des armes de la France. »
Cette formule, avec sa gradation qui dit tout, a fière allure.
« Il faut toujours penser au coup d'après »
Au Conseil du 25 juillet 1962, Couve : « Nous rétablissons les relations diplomatiques avec la Tunisie. Pour Bizerte, vous avez toujours répété la même position : nous n'avons pas l'intention de rester indéfiniment. Dans les circonstances actuelles, il n'est pas possible d'évacuer la partie militaire de la base ; mais nous en partirons dès que possible, compte tenu de la situation internationale et de notre propre avancement dans notre programme d'armement nucléaire.
« Nous échangeons donc des ambassadeurs. Le gouvernement tunisien prend acte de ce que nous avons dit sur Bizerte ; il fait confiance au gouvernement français pour régler la question de la façon la meilleure. »
Après le Conseil, le Général me donne instruction d'annoncer que l'armée évacuera Bizerte le jour où la France en aura les moyens. Il ajoute, en commentaire libre (« à ne pas dire ! ») :
« L'année dernière, Bourguiba a cru que j'étais en position de faiblesse, parce que le FLN avait rompu les négociations. Il s'estcru autorisé à lancer ses troupes contre Bizerte. Il voulait faire perdre la face à la France devant le monde entier et ruiner notre seule carte, c'est-à-dire la solidité de l'armée. Nous avons répondu comme il le méritait. Nous avons repoussé son assaut et nous avons écrabouillé son armée. Il faut que le monde sache que l'armée française, c'est quelque chose. Si on s'attaque à elle, dès lors qu'elle est bien commandée, bien équipée, et qu'elle n'hésite pas devant son devoir, eh bien, tant pis pour l'agresseur ! Il n'avait qu'à ne pas s'y frotter ! Alors, elle a fait son devoir. Bourguiba se le tiendra pour dit. Il ne recommencera pas de sitôt, croyez-moi, et personne, de longtemps, ne cherchera à l'imiter, malgré tous les pleurnichards soi-disant français qui se sont déchaînés à cette occasion. Il faut toujours penser au coup d'après.»
« C'est encore le troufion qui coûte le plus cher »
Au Conseil du 12 décembre 1962, le Général : « L'achèvement de la guerre d'Algérie, cela veut dire que l'armée va se reconvertir ; elle va se retremper dans la nation. Elle fera ce pour quoi elle est faite : la défense nationale. L'armée de terre aura des armes conventionnelles, auxquelles elle est habituée ; mais aussi sa force nucléaire propre, devant laquelle elle reste à l'arrêt comme
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