C'était De Gaulle - Tome I
Conseil, j'exprime au Général ma surprise que lui, militaire, n'ait pas suivi l'avis de Malraux.
GdG (il sourit) : « Si les objecteurs de conscience ont une conscience, cela mérite quand même considération en temps de paix, quand le refus de servir dans l'armée n'est pas un signe de couardise, mais une conviction intime. »
Il est quand même étonnant de voir le Général, soldat dans l'âme, regarder avec une sorte de sympathie ce statut demandé par les intellectuels de gauche : il se montre, sur ce sujet sensible, plus compréhensif que l'intellectuel révolutionnaire qu'il s'enorgueillit d'avoir à ses côtés.
Au Conseil des ministres du 8 août 1962, Messmer fait état de la satisfaction des objecteurs de conscience, et notamment de leur porte-parole, Lecoin 3 .
Après le Conseil, j'interroge le Général.
GdG : « Buron n'était déjà plus ministre 4 quand il a obtenu la promesse d'un statut. Mais ce statut n'en est pas un, car il revient à donner aux objecteurs une situation de planqués dans l'armée. Ils voudraient un service civil et civique, et non un service militaire dans un corps de santé ou d'intendance.
« En ce qui concerne la libération de ceux qui sont internés, il faut qu'ils s'engagent à faire un service civique pour le délai qui leur reste à courir ; sinon, ils auraient l'impression de remporter une victoire morale. »
On ressent comme une réserve : il insiste sur le fait que les objecteurs n'ont pas véritablement obtenu gain de cause.
« Les objecteurs, c'est Pommepidou qui veut leur faire des chatteries »
Conseil des ministres, 11 juin 1963.
Il a fallu attendre un an pour que je saisisse la clé de cette énigme. Entre-temps, un projet de loi a été discuté à l'Assemblée en juillet 1962, puis renvoyé en commission après un débat confus. L'Assemblée ayant été dissoute, il est caduc. Un nouveau projet revient devant le Conseil.
GdG (cette fois, plus bougon) : « Il n'y a pas de raison d'empêcher que ces objecteurs soient affectés à la protectio civile, mais dans quelles conditions ? Il ne faudrait pas qu'on les traite comme s'ils avaient réussi un concours difficile.
Pompidou. — Le risque est faible ! Des milliers de jeunes gens sont affectés à la protection civile pour dix-huit mois, alors que ceux qui y seraient affectés en tant qu'objecteurs de conscience feraient deux fois plus de service.
GdG. — Oui, pourvu que ça dure. Mais il faut faire toutes réserves sur ce qui se passerait en cas de mobilisation ! Je ne suis pas très heureux de ces dispositions. Il faut tenir au principe de l'obligation militaire, et à celui de l'égalité devant cette obligation. Sans quoi, vous ouvrez des portes que vous ne pourrez plus refermer. »
Matignon, 28 août 1963. Pompidou me fait part d'un regret : « Les objecteurs de conscience sont enfin reconnus, mais ils restent méconnus. »
Au Conseil du 29 août 1963, le Général insiste :
GdG : « Il est essentiel que ces affectations à des unités non militaires soient prononcées en vertu de l'obligation militaire. Il faut donc que ces garçons fassent un service plus long. En temps de paix, ça n'a pas grande importance. En temps de guerre, c'est plus grave, il faut tout revoir.
Messmer. — Certains trouvent ce statut insuffisant, d'autres excessif. »
Après le Conseil, le Général me dit :
« Les objecteurs, c'est Pomme pidou qui veut leur faire deschatteries. (Il a prononcé Pompidou à la méridionale, comme il l'avait déjà fait devant moi à propos des ménagements du Premier ministre à l'égard de Monnerville 5 , en insistant sur Pomme, avec, m'a-t-il semblé, une trace d'agacement.) Je ne sais pas pourquoi il s'est laissé embobiner par le MRP au moment même où celui-ci venait de nous lâcher. C'est contre le bon sens. On peut bien faire une concession à quelqu'un qui s'engage à marcher avec vous. Pourquoi faudrait-il en faire à ceux qui s'y refusent ? »
Ainsi, ce n'est pas le Général qui se passionnait pour les objecteurs. Mais il n'a pas voulu interdire à Pompidou de tenir une promesse, même s'il l'a trouvée imprudente et même si ceux à qui elle avait été faite sont devenus des adversaires. Pompidou a gardé le contact avec un monde d'intellectuels, d'artistes, de créateurs en tout genre, pour qui l'objection de conscience, comme les convictions pacifistes, prennent une importance essentielle ; il les comprend et a soin de le leur montrer.
Toute cette
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