C'était De Gaulle - Tome I
de règlement. Allons-nous, pour faire plaisir à l'Angleterre, remettre en question le Marché commun et la signature des règlements agricoles, faute desquels nous refusons qu'il y ait un Marché commun ? Tout cela est difficile à accepter.
« Pour l'agriculture, si on entre dans les vues des Anglais, la Grande-Bretagne continuerait à s'approvisionner à bon marché au Canada, en Nouvelle-Zélande, en Australie, etc. Les Allemands meurent d'envie d'en faire autant avec l'Argentine. Les autres suivraient. Que faire alors de la surproduction européenne, et notamment française ? Si nous devons donner 500 milliards par an de subventions à l'agriculture, que se passerait-il dans le cas où le Marché commun ne nous aiderait pas ? Ces questions, bien pratiques, ne peuvent pas être tranchées sur la base des sentiments.
« Il en était mélancolique et moi aussi. Nous préférons la Grande-Bretagne de Macmillan à celle des travaillistes, et nous aimerions bien l'aider à rester au pouvoir. Mais que pouvais-je faire ? Sinon lui chanter la chanson d'Édith Piaf : Ne pleurez pas, Milord!
« Il m'a dit d'autre part que la Grande-Bretagne est décidée à conserver sa force nucléaire nationale. Il est désappointé par l'attitude des États-Unis. Il n'est pas opposé du tout à ce que nous fassions notre propre force nucléaire, mais il souhaiterait que nous coordonnions nos efforts et nos stratégies. Nous ne pouvons qu'être d'accord pour coordonner, dès lors que nous sommes indépendants. »
« Les Américains tiennent la gâchette »
Au même Conseil des ministres du 19 décembre 1962, Couve de Murville rend compte de la réunion du Conseil de l'OTAN à Paris. Les Américains veulent augmenter la participation des Européens en forces conventionnelles. Pour ce qui est des forces nucléaires, ils ont fait allusion à une « force atomique multilatérale ».
Après le Conseil, je demande au Général ce qu'il pense de cette force multilatérale.
GdG : « Je vous l'ai déjà dit l'autre jour. (J'ai vérifié dans mes notes. De fait, après le Conseil de la semaine dernière, il m'avait dit trois phrases ; je m'en souvenais à peine ; mais ce surdoué de la mémoire ne l'avait pas oublié.) C'est un machin pour faire bien, pour faire croire aux Européens qu'ils ont accès à la gâchette atomique. Seulement, comme les Américains tiennent l'autre gâchette, sans laquelle le coup ne peut pas partir, c'est comme si rien n'était changé. Mais gardez ça pour vous. »
Ce don qu'il a de simplifier les choses les plus complexes, pourquoi n'en use-t-il pas davantage ? Et pourquoi m' interdit-il de retransmettre ses formules, quand elles sont aussi lumineuses que convaincantes ?
Il ne les reprendra même pas dans sa conférence de presse du 14 janvier 1963. Le langage de familiarité, et le style de grandeur — celui qui restera dans l'Histoire.
« Je vais vider l'affaire de l'entrée de l'Angleterre dans le Marché commun »
Il m'annonce ensuite qu'il va faire une conférence de presse le 14 janvier. Il m'autorise à l'annoncer.
AP : « Vous allez esquisser un programme pour cinq ans ? Les gens se demandent ce que vous allez bien pouvoir dire, puisque ces cinq ans sont une page blanche après des élections qui ont été gagnées sans programme. Ils sont habitués à avoir des crises ministérielles tous les six mois et ne comprennent plus rien.
GdG. — Mais si, ils comprennent ! Ils comprennent que nous sommes sortis du régime des crises ministérielles.
AP. — Vous savez déjà sur quel thème vous allez parler ?
GdG. — Bien sûr que je le sais ! (Il a dû avoir envie de me lancer : " À sotte question, pas de réponse.")
« D'abord, je vais vider l'affaire de l'entrée de l'Angleterre dans le , Marché commun. vider ! Vous voyez ce que je veux dire ? Qu'après ça, on n'en parle plus de longtemps. Je dirai pourquoi l'Angleterre est incapable, jusqu'à nouvel ordre, d'entrer dans le Marché commun. Ce n'est pas parce que nous ne voulons pas d'elle ! C'est parce qu'elle n'est pas encore prête à souscrire aux obligations du traité !
« Macmillan m'a répété la profession de foi qu'il m'avait proclamée à Champs en juin dernier. Il a ajouté qu'il était prêt à signer le plan Fouchet les yeux fermés. Mais je lui ai fait observer qu'en six mois, les tractations sur le Marché commun n'avaient pas avancé d'un pouce. Quant au plan Fouchet, il n'était plusd'actualité, Spaak et Luns l'ayant
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