C'était De Gaulle - Tome I
rejeté et les Italiens refusant de débloquer la négociation. Alors, quelque tristesse qu'on puisse en ressentir, il n'y a pas de solution dans les circonstances présentes.
« En réalité, l'Angleterre a les reins cassés. Elle ne sait pas ce qu'elle veut. Elle s'accroche toujours au rêve du Commonwealth. Et, en même temps, elle rêve de faire craquer le Marché commun en y faisant entrer tout son cortège. Mais si nous acceptons ses conditions, ce n'est pas elle qui entrerait dans le Marché commun, c'est le Marché commun qui entrerait dans le Commonwealth.
« Il n'en est pas question ! Nous bâtissons d'abord le Marché commun. Et il n'existera pas, tant que nous n'aurons pas obligé nos partenaires à y faire entrer l'agriculture, pour laquelle on n'en est encore qu'aux paroles, et l'aide à l'Afrique, dont nous ne devons pas être les seuls à supporter le poids. Quand le Marché commun sera construit de manière irréversible, alors nous verrons.
« Il est évident que l'Angleterre n'est pas prête à en accepter les règles. Ce n'est pas un drame. Ni pour elle, ni pour nous. Mais il faut voir les choses en face, et donc en finir avec cette négociation. Bien sûr, je ferai un coup de chapeau à Churchill, au rôle de l'Angleterre dans la Seconde guerre, à mon ami Macmillan, etc. Mais je refermerai la porte. Ça a assez duré comme ça ! À un moment donné, si on n'a pas le courage de dire non, on finit par se laisser engluer. »
Une fois de plus, il faut redresser une idée fausse qui s'est répandue parmi les historiens, notamment britanniques. Selon eux, c'est l'accord de Nassau sur les Polaris du 21 décembre 1962 qui aurait décidé de Gaulle à claquer précipitamment la porte du Marché commun. Les comptes rendus du Conseil (et de notre entretien) du 19 décembre prouvent que la décision du Général était définitivement prise deux jours avant la signature de l'accord de Nassau et une huitaine de jours avant qu'il ait eu le temps d'en faire l'analyse. La vérité, c'est que, par la suite, de Gaulle a vu dans cet accord une raison confirmative de ne pas introduire les Anglais dans la Communauté.
« Macmillan s'était incliné d'avance »
« Le second sujet que je traiterai, ce sont les accords des Bahamas et notre position vis-à-vis de la force multilatérale. Naturellement, il faut attendre pour en parler que cette conférence de Nassau soit terminée. Il faut savoir exactement ce qui s'y sera dit, ce que les Américains proposent, ce que les Anglais accepteront, ce que nous leur répondrons. Ça va prendre du temps. Mais je ne crois pas me tromper.
« Avant de se rendre aux Bahamas, Macmillan m'a faitcomprendre qu'il ne voulait pas se battre. Il s'était incliné d'avance.
« Il n'est pas question que nous acceptions le système de la force soi-disant multilatérale. Nous fabriquons des bombes A pour nos Mirage IV, qui sont bien à nous. Nous les fabriquerons avec nos seules connaissances et nos seuls moyens. Plus tard, nous ferons des bombes H et nous les miniaturiserons, nous ferons en même temps des sous-marins atomiques, toujours avec nos seules connaissances et nos seuls moyens. Nous y mettrons le temps, mais nous le ferons.
AP. — Est-ce que vous établirez un lien, dans votre conférence de presse, entre l'adhésion au Marché commun et l'accord de Nassau ?
GdG. — Non, évidemment. La candidature de l'Angleterre au Marché commun se suffit à elle-même. Mais le lien est implicite. Nous refuserons le système proposé par les Américains, parce que nous ne voulons pas dépendre d'eux. Si les Anglais n'ont pas les mêmes scrupules, c'est un signe qu'ils n'ont pas encore vocation à entrer dans l'Europe.
«Vous allez voir que Macmillan va se résigner, à ce que l'Angleterre devienne de plus en plus un satellite des États-Unis. Moi, je n'y suis pas résigné pour la France.
« Il n'est pas question pour nous de donner aux Américains le commandement de nos bombes A et de nos Mirage IV, alors qu'ils ne nous ont nullement aidés à les construire. Notre situation n'a rien à voir avec celle des Anglais, qui depuis l'origine ont reçu l'aide américaine.
« Ce sont les deux questions essentielles, je veux les vider toutes les deux.
« La France a fini de se blottir »
« Naturellement, aussi, je tirerai les leçons du référendum et des élections de l'automne et je glorifierai la coopération franco-allemande. Mais l'essentiel, vous pensez bien, ce sont les deux
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