C'était De Gaulle - Tome I
intégrées dans le système américain ? Le retrait d'une force nationale du système multilatéral dans lequel elle serait incluse créerait un différend d'une telle gravité, qu'on ne voit pas comment les États-Unis l'accepteraient.
« Reprendre la libre disposition de sa force... C'est une blague, une de plus. Une fois que Macmillan aura affecté à la force multilatérale ses bombardiers, ses fusées, ses têtes nucléaires, vous pensez bien qu'il ne va pas les retirer du jour au lendemain. Tout cela sera tellement intégré, imbriqué, que les Anglais seront complètement ligotés. Autour de cette force multilatérale et à l'intérieur, sera tissé un réseau serré de services de liaisons, de sujétions techniques. Ce n'est pas dans des minutes d'apocalypse qu'ils pourraient s'en dégager !
« Par exemple, que se serait-il passé, au moment de l'opération de Suez ? L'Angleterre aurait, théoriquement, pu répondre au chantage soviétique si elle avait disposé de sous-marins armés de fusées Polaris. Mais puisqu'il y avait conflit entre l'Angleterre et les États-Unis, comment l'Angleterre aurait-elle pu retirer ses forces pour les opposer à la menace soviétique ? Les Américains ne l'auraient jamais permis.
« Les Anglais, à Nassau, se sont mis dans la nasse. Ils n'en sortiront pas. Leur indépendance atomique est cuite. Mais comme le parti conservateur est discipliné, il va s'efforcer de le dissimuler pour surmonter cette crise. Quand on pense que, jusqu'à la Seconde guerre, les Anglais étaient les aînés et l'Amérique la cadette. Ils ont vendu leur droit d'aînesse pour un plat de Polaris !
« Je sentais que Macmillan se laisserait ficeler»
Le Général se lève et me dit gravement, en me reconduisant à la porte : « J'avais pris la décision de principe de fermer la porte du Marché commun aux Anglais, à la fois parce qu'ils ne sont pas prêts à y entrer économiquement et parce qu'ils n'y sont pas vraiment disposés politiquement. Je sentais que Macmillan se laisserait ficeler à Nassau. Il était parti battu. Ça n'a pas manqué d'arriver. Il s'était résigné à placer sa force de frappe dans une force multilatérale sous commandement américain.
« Non seulement il n'y aura rien de changé à l'OTAN, puisque ce sont toujours les Américains qui commanderont ; mais la force nucléaire des Anglais, qui avait des velléités de devenir plus ou moins indépendante, cessera complètement de l'être. Jusqu'à mon retour aux affaires, la Grande-Bretagne vivait avec l'idée qu'elle était la sœur privilégiée ; elle n'aurait pas de force de frappe indépendante, mais elle était la seule à avoir un doigt sur la gâchette de la force américaine ; ce qui lui donnait une position dominante en Europe et lui permettait de jouer des rivalités des uns et des autres, notamment des rivalités franco-allemandes. Bref, elle pensait qu'elle mènerait tous les Européens par le bout du nez. Depuis trois ou quatre ans que nous prenons nos dispositions pour nous doter de notre force de frappe, elle s'était mise aussi à en vouloir une qui en fût une. Mais elle ne s'en était pas donné les moyens. Et maintenant, elle y a définitivement renoncé.
« J'avais pourtant bien insisté avec Macmillan, à Champs il y a six mois, à Rambouillet il y a quinze jours, sur la nécessité de ne pas rester dans la dépendance de l'Amérique. Il m'avait dit que c'était son sentiment et celui de la jeunesse. Mais il est tombé la tête la première dans le piège. L'Angleterre n'est plus qu'un satellite des États-Unis. Si elle entrait dans le Marché commun, elle ne serait que le cheval de Troie des Américains. Cela voudrait dire que l'Europe renonce à l'indépendance.
AP. — C'est ce que vous allez dire le 14 janvier ?
GdG. — Pas comme ça ! »
1 Strauss a été ministre de la Défense de l'Allemagne fédérale de 1956 à 1962.
Chapitre 11
« SI ON DIT QUE L'ANGLETERRE EST UNE ÎLE, PERSONNE N'EN REVIENT »
Au Conseil des ministres du 9 janvier 1963, Couve reparle de l'entrée de l'Angleterre dans le Marché commun : « C'est l'éternel recommencement de la négociation avec les Anglais. Tous s'agitent : Schroeder qui va à Londres, Fanfani qui a invité Macmillan, Heath qui a repris ses voyages.
« À Bruxelles, on est dans l'impasse, notamment pour l'agriculture. Le dénouement devrait venir avant Pâques. (Il n'est donc pas au courant de ce que le Général projette pour sa conférence de
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