C'était De Gaulle - Tome I
pour défendre nos intérêts et ceux de nos amis n'importe où dans le monde ; et enfin, une force de dissuasion qui ne dépende que de nous.
« Supposons que les Russes attaquent aujourd'hui l'Allemagne en mettant en jeu des bombes atomiques tactiques : les armées occidentales seront détruites et la France sera découverte. S'ils attaquent avec des forces conventionnelles, même résultat ; la bataille d'Allemagne sera vite perdue en raison de la disproportion des moyens, et la France sera envahie sans recours. L'Angleterreet l'Amérique, elles, derrière la mer, auront toujours un recours. Nous, non !
« Supposons que Khrouchtchev veuille nous faire chanter en menaçant d'envoyer une bombe sur Cologne pour exiger la démission d'Adenauer, une bombe sur Marseille pour exiger que Thorez prenne le pouvoir : nous risposterions en menaçant de lancer une bombe sur Odessa. Mais les Américains, que feraient-ils ? L'Allemagne voulait croire qu'ils seraient prêts à répliquer aussitôt. Mais, depuis l'affaire de Berlin, elle n'y croit plus et elle en est toute désorientée.
AP. — Et les Allemands, que vont-ils faire, dans tout ça ?
GdG. — L'Allemagne, c'est le véritable problème politique pour les Américains. S'ils refusent tout à l'Allemagne, ils ont peur de se brouiller avec elle ; et surtout, ils ont peur que l'Allemagne et la France s'entendent entre elles pour contrôler ensemble une force nucléaire commune, sans les Américains. C'est ce que l'Amérique craint le plus et que l'Allemagne souhaite le plus. C'est ce que demande Strauss 1 , l'égalité avec la France. Mais là, il en demande trop. Nous ne pouvons permettre, jusqu'à nouvel ordre, l'accession de l'Allemagne ni à l'armement atomique américain, ni au nôtre. En arrivant aux affaires en juin 58, j'ai appris l'existence d'un accord secret que Chaban, comme ministre de la Défense de Bourgès-Maunoury, avait signé avec Strauss, pour que la France et l'Allemagne fabriquent des armes nucléaires ensemble. Mon premier acte diplomatique, ça a été de dénoncer cet accord. L'armement nucléaire allemand, c'est le dernier casus belli qui existe dans le monde, ou un des tout derniers. La guerre éclaterait rien que pour ça. »
Il ne donne pas d'autres motifs à cette dénonciation que ce casus belli. Son refus ne tient pas à l'idée qu'il se fait de l'Allemagne, mais à l'idée que s'en fait l'Union soviétique.
« Avant les Bahamas, ma décision était déjà prise »
AP : « Pourquoi Macmillan, aux Bahamas, a-t-il dit oui à Kennedy ?
GdG. — À la veille de ses élections, je pense qu'il a voulu affirmer la coopération avec les États-Unis, histoire de montrer qu'il n'est pas isolé par rapport à la France et à l'Europe. Il n'a pas compris, ou pas voulu comprendre, que ça allait précisément l'isoler davantage. Comment accepterions-nous de laisser entrer dans l'Europe un pays qui fait à ce point allégeance aux Américains ? Avant les Bahamas, ma décision était déjà prise. Mais sielle ne l'avait pas été, l'hésitation ne serait plus permise aujourd'hui.
« La Seconde guerre n'aurait jamais éclaté si, dans les années 30, nous n'avions pas pris l'habitude de nous en remettre aux Anglais. Nos gouvernements ont laissé croire à l'opinion que notre sécurité dépendait de ce que Londres déciderait face à Berlin. Quand Hitler a réoccupé la Rhénanie, il ne disposait pas encore d'armement sérieux. Nous avons proclamé que nous ne permettrions pas que Strasbourg soit sous le feu des canons allemands. Mais comme les Anglais n'ont rien voulu faire, nous n'avons rien fait. Quand Chamberlain, à Munich, a voulu se coucher, nous avons suivi.
« Si nous laissions croire aujourd'hui aux Français que la présence américaine sur notre sol suffit à les garantir, ils seraient tentés d'en faire le moins possible pour leur défense. Ils ont déjà oublié ce qu'il leur en avait coûté.
« Les Anglais se sont mis dans la nasse »
AP. — Que veut dire cette clause permettant aux Anglais de reprendre leur liberté de disposition " si leurs intérêts nationaux suprêmes sont en jeu" ?
GdG. — Personne ne sait. Ce qui est sûr, c'est que la force nucléaire des Anglais ne pourra plus être un élément de leur politique nationale. Ils perdront toute liberté d'action. S'ils estimaient qu'un "intérêt national suprême" est en jeu, comment pourraient-ils reprendre leur indépendance, alors que toutes leurs forces seront
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