C'était De Gaulle - Tome I
empêcher d'avoir recours à nos armes atomiques, de manière à écarter tout risque d'être entraînés dans un conflit généralisé.
« Quant aux Anglais, il pourrait en être de même pour eux... s'ils avaient gardé leur indépendance. Ils l'ont perdue aux Bahamas. Ils en sont un peu confus. Ils tâchent de se couvrir par les termes " intérêts suprêmes ", mais je crains qu'ils n'y passent. Les Bahamas, c'est une opération des Américains pour mettre la main sur les moyens de la Grande-Bretagne et donc sur son avenir.
« J' ai répondu à Kennedy pour le remercier de m'avoir fait connaître le contenu de son communiqué avant de l'avoir publié. Quant à ses propositions, je lui ai dit qu'il fallait y regarder de très près, que les conditions techniques à examiner étaient très particulières, que nous sommes obligés de considérer la question sous l'angle de notre propre défense nationale, qu'il connaît bien.
« Nous n'avons demandé aucune explication sur le système qu'il propose ; mais, s'il voulait nous en donner, nous serions intéressés.
« Aider les Américains à mettre sur pied leur système ne nouscoûterait probablement pas moins cher que de nous aider nous-mêmes à conquérir notre indépendance. »
Il termine cet exposé magistral sur cette note financière, comme l'avait fait Pompidou. Est-ce pour tendre une perche à Giscard, de manière à le faire parler et à l'amener à s'engager, sur un point si sensible à ses amis politiques ? Giscard — à son ordinaire, très droit sur sa chaise —, sans quitter des yeux le Général, ne cille pas et reste muet.
« Il faut commencer par réveiller l'instinct de défense »
Palewski. — Nous ne devons pas nous dissimuler à quel point nous sommes en retard sur les autres, et combien ce retard va s'accentuer par l'augmentation des ressources des autres. S'il nous était possible d'obtenir les indications que les Américains ont données aux Anglais sur la miniaturisation, sur le sous-marin lance-engins, sur la bombe thermonucléaire, nous pourrions avancer beaucoup plus vite.
GdG. — Mais les Américains ne nous proposent rien de ce genre ! Dans l'hypothèse où cette proposition nous serait faite par le gouvernement américain, il n'y a pas beaucoup de gouvernements français qui demanderaient (à la nation et aux contribuables) un effort supplémentaire pour ajouter quelques sous-marins ou quelques Polaris aux sous-marins et aux Polaris américains.
« Il n'y a pas de politique de défense du monde libre qui tienne, si on ne commence pas par réveiller l'instinct de défense parmi les pays du monde libre. Ce n'est pas ce que font les Américains. Ils font exactement le contraire.
Pompidou. — Les Anglais préfèrent qu'on ne sache pas leur abandon ! Ils paieront un certain prix pour que nous ne dénoncions pas leur capitulation. Ils sont prêts à nous céder de l'uranium enrichi. »
Messmer donne, sur la fusée qui vient d'être lancée à Colomb-Béchar, des précisions à propos desquelles il demande le secret absolu ; je pose ostensiblement mon stylo pendant ce temps. Puis il continue : « Notre programme est d'obtenir une portée de 3 000 kilomètres avec une charge utile d'une mégatonne. Nous pensons réaliser, pour la fin de 1965 ou le début de 1966, une fusée à trois étages capable de placer sur orbite un satellite Diamant. »
Il ajoute en riant : « ainsi appelé à cause de son prix ». Ni le Général, ni Pompidou, ni Giscard n'esquissent le moindre sourire.
Après le Conseil, le Général me donne pour la presse des directives d'une extrême prudence. Sa résolution est prise, mais il ne veut pas la faire paraître encore.
1 Missile air-sol, lancé à partir d'avions de bombardement, d'une portée de 1 600 km. Il devait armer les bombardiers américains et britanniques. La décision américaine est un coup dur pour la Grande-Bretagne, qui n'a pas de solution de rechange.
2 Missiles intercontinentaux mer-sol à tête nucléaire conçus pour être lancés à partir de sous-marins en plongée. Il y en eut trois versions : A1, A2, A3, d'une portée respective de 2 200 km, 2 800 km et 4 500 km. La troisième pouvait larguer trois têtes nucléaires de 200 kilotonnes.
3 Kennedy a été élu le 8 novembre 1960 et a pris ses fonctions le 20 janvier 1961.
4 Un chopin, dans le vocabulaire gaullien, repris par Pompidou : une aubaine.
5 En janvier 1961, à la suite d'une explosion atomique française au Sahara,
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