C'était De Gaulle - Tome I
caille, crie d'une voix de stentor: « Mon général, mon cher et grand ami ! » Elle lui passe les bras autour de la taille et l'étreint fortement.
Le Général, interloqué, se dégage, prend ses distances : «Madame, j'ai bien l'honneur de vous saluer.» La dame reprend : « Il y a vingt-cinq ans que je vous écris ! »
GdG : « En effet, nous avons correspondu. » Et il passe à la suivante. Mme Coupaille est aussitôt entourée de journalistes. C'est la gloire. Elle répond avec complaisance aux questions dont on la presse.
À Pagnon, dernière commune des Ardennes, M. Janon, âgé de soixante-dix ans, est présenté au Général par le sous-préfet, qui a préparé son coup. « Voilà quelqu'un qui a servi sous vos ordres. » M. Janon explique qu'en 1916, il était canonnier à la 157 e batterie du 8 e régiment d'artillerie. Blessé grièvement en 1916, il fut cité à l'ordre du régiment et c'est le capitaine de Gaulle qui l'informa de cette citation.
GdG : « Mais non, ça ne pouvait pas être moi, je n'ai jamais été artilleur. J'étais dans l'infanterie ! »
L'ancien canonnier balbutie, proteste : « Mais si, c'est écrit dans ce papier.» Il sort de sa poche son livret militaire, en compulse fiévreusement les pages disjointes et met son gros ongle noir sur un nom, en poussant un cri de triomphe. Le Général chausse ses lunettes et dit : « Jacques de Gaulle, ce n'était pas moi, c'était mon frère.» L'ancien canonnier jubile : « Ça fait rien, c'est pareil.» Tous ceux de son village l'entourent et le dévisagent. Il est clair que, depuis vingt ans, il a rebattu les oreilles de qui voulait l'entendre, en prétendant qu'il connaissait personnellement de Gaulle et qu'il était son ami. Il l'a tellement répété qu'il ne peut plus reculer. Il est indispensable de noyer le poisson tout de suite, en montrant que « ça revient vraiment au même, ça ne sort pas de la famille ».
Même aventure à Rethel où M. Toulmonde (c'est bien son nom), agriculteur à Saulce-Monclin, a participé à la présentation des notabilités. Il racontait depuis vingt-cinq ans (à... tout le monde) que le général de Gaulle, en 1939, avait implanté son PC dans sa ferme à l'occasion des grandes manœuvres.
GdG : « Mais non, je n'ai pas implanté mon PC ! J'ai simplement passé une nuit dans cette ferme, parce qu'il n'y avait pas de lit ailleurs. »
Malgré cette restriction, il se souvient très bien de la chose. L'agriculteur proteste que, cette nuit-là, sa ferme a été, par le fait, un PC. Cependant, pour le Général, l'exactitude, ça compte.
« C'était un socialiste un peu cucul mais sincère, comme ils sont souvent »
Dans la micheline, je demande au Général : « Vous avez répondu à Mme Viénot avec beaucoup de gentillesse, bien qu'elle ait tenu à vous dire publiquement qu'elle était votre adversaire déterminée. Avez-vous voulu rendre hommage à la mémoire de son mari ?
GdG. — On n'attaque pas une femme. Et puis, oui, j'aimais bien son mari. Ce fut un de mes bons compagnons. C'était un socialiste naïf, un peu cucul mais sincère, comme ils sont souvent. Un socialiste à la Léon Blum. Un socialiste qui croyait aux grandes idées du XIX e siècle, à l'Humanité avec un grand H, au Progrès avec un grand P, au Travail avec un grand T. Il ne voyait pas les choses comme elles sont. C'est curieux comme les Français ont du mal à s'adapter au réel. Et surtout quand ils ont un idéal en tête. Le plus difficile est de rester réaliste quand on a un idéal, et de garder son idéal quand on voit les réalités.
« Viénot croyait qu'après la guerre, on allait reconstruire le monde sur une table rase. On allait établir la grande fraternité des peuples. On allait réussir, avec une nouvelle Société des Nations— là où la génération précédente avait échoué, il ne savait pas trop pourquoi.
« Le brave homme ! Il a commencé à comprendre quand les Anglais ont voulu mettre la main sur la Syrie et sur le Liban. Les écailles lui sont tombées des yeux. Il a compris que cette Angleterre qu'il idéalisait, était implacable quand il s'agissait de ses propres intérêts. Il en a été comme foudroyé. Il avait cru d'abord que c'était l'œuvre de quelques agents isolés de l'Intelligence Service. Et puis, il a compris que c'était l'Angleterre elle-même. Ça lui a fait un coup terrible. Moi, il m'en fallait davantage. »
« Les blocs erratiques d'hier ne peuvent pas avancer
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