C'était De Gaulle - Tome I
»
À la sortie du Conseil, Pompidou, qui n'a pas la télévision (et tient à continuer de s'en passer), me demande si elle a rendu compte de la conférence de presse que vient de tenir Giscard. Il n'écoute que son transistor, mais il n'est pas satisfait : « Il tire la couverture à lui ! Comme si le gouvernement, à commencer par le Premier ministre, comptait pour du beurre ! »
Au Conseil des ministres du 30 mai 1962, le sujet reste d'actualité. Bokanowski : « On se sentirait frustré s'il n'y avait pas la grève. Les avantages accordés seraient tenus pour rien, si les syndicats ne les avaient pas arrachés.
GdG. — Il faut essayer de gagner du temps. La position générale à tenir, c'est qu'il n'est pas possible de faire des concessions sur la durée du travail. Une fois le IV e Plan exécuté 2 , on pourra changer les choses. Les classes creuses feront place à des classes pleines. »
Au Salon doré, après le Conseil, le Général revient devant moi sur ce qu'il ne faut pas céder : « Pendant le V e Plan, la démographie nous sera plus favorable. Mais, jusque-là, pendant la durée du IV e Plan, la France doit travailler beaucoup. On n'obtiendra rien sans un grand effort.»
Il ajoute : « Il est vrai que si les syndicats n'incitaient pas à la grève de temps à autre, ils auraient l'impression de devenir quantités négligeables. Il faut les comprendre. La grève, c'est leur seule façon d'exister. »
« Comme un cavalier sur un cheval au galop »
Au Conseil des ministres du 27 juin 1962, Giscard : « La masse salariale s'est accrue plus vite que la croissance n'aurait dû le permettre. Il va y avoir un phénomène déséquilibrant : les rapatriés. Mais l'expansion se poursuit à un rythme au moins comparable à celui des trois années précédentes et nous devrions absorber ce phénomène. »
Au Salon doré, après le Conseil, le Général me dit : « L'économie garde pour le moment son équilibre, mais il faut être attentif à le garder. L'équilibre, c'est la notion capitale. Un pays, aujourd'hui, c'est comme un cavalier sur un cheval au galop. S'il perd l'équilibre, la chute est inévitable. »
« C'est quand même impressionnant »
Au Conseil des ministres du 11 juillet 1962, Giscard : « Il n'est pas bon que la Banque de France fasse apparaître un montant de devises trop élevé. Dans ses réserves, il y a une part croissante en dollars, ce qui pose un problème pour l'avenir. Nous remboursons donc au Canada la moitié de notre dette extérieure. Outre l'effet d'assainissement, c'est une source d'économies qui n'est pas négligeable.
« Le plan Marshall comportait en partie des prêts remboursables. Il y a intérêt à procéder sans attendre au remboursement de la totalité de ces prêts. Ce remboursement sera annoncé sous la forme d'un échange de lettres entre mon homologue Dillon, secrétaire d'État américain au Trésor, et moi-même. »
La mimique de Pompidou, que Giscard ne peut pas voir, suggère qu'il est fortement agacé de constater que le ministre s'approprie le mérite de cette performance. À la seconde même où s'arrête la communication, Pompidou laisse tomber sèchement : « Ce n'est pas seulement une preuve de la vitalité continue de l'économie française, mais c'est exemplaire pour la coopération internationale. »
Qu'il soit bien entendu que l'économie, pas plus que la politique internationale, ne sont l'apanage de la rue de Rivoli ou du Quai d'Orsay. Puisque toute question importante est interministérielle, tout ce qui compte passe par Matignon : que chacun se le dise.
Le Général fait comme s'il n'avait pas perçu cette sourde tension : « Il faudra poursuivre l'assainissement en convertissant nos réserves en or. On peut donc annoncer (dit-il en se tournant vers moi) que le Conseil des ministres a autorisé le ministre des Finances à procéder au remboursement anticipé de notre dette extérieure. »
Visiblement très satisfait, il conclut :
« C'est quand même impressionnant. »
À la sortie du Conseil, Pompidou vient vivement vers moi et me dit : « Ne laissez pas Giscard tirer trop la couverture à lui. Vous pouvez indiquer qu'à côté de la bonne santé des finances françaises et de la monnaie, il y a un côté politique qui m'a poussé (il appuie sur m'a) à hâter ce remboursement : une politiquede coopération amicale à l'égard des États-Unis et du Canada, à laquelle je tiens personnellement. »
Il n'y a pas encore trois
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