C'était De Gaulle - Tome I
mois que Pompidou et Giscard font partie du même gouvernement, et déjà devient évident que le Premier ministre et le plus important des ministres sont rivaux pour le premier rôle. L'un a la supériorité de l'âge, de l' expérience, de l'intimité du Général, de la culture. L'autre, l' antériorité au Parlement, au gouvernement et dans l'accès de sa famille aux grands emplois de l'État ; il a prouvé aussi sa loyauté dans l'épreuve de 1962. Aucun des deux ne se juge inférieur à l'autre en intelligence et en compétence. Cela nous promet de jolies joutes feutrées.
« Il ne suffit pas de laisser faire. Il faut faire et faire faire »
Au Conseil des ministres du 22 août 1962 3 , Giscard : « Notre économie continue à connaître une expansion au-dessus des perspectives du Plan. C'est un résultat d'autant plus favorable que l'économie occidentale fait preuve d'essoufflement.
GdG. — Attention à l'inflation ! La hausse des prix est un fait.
Pompidou. — Il y a inflation dans toutes les économies de plein emploi. Quand le pouvoir d'achat augmente, les salaires sont plus élevés et, par suite, le coût de production s'élève. L'important est de se tenir au rythme des autres économies occidentales. La dépréciation du franc n'a rien d'alarmant, à condition qu'elle n'aille pas plus vite que celle du mark et du dollar. »
(Traduction, conforme à la dignité du Conseil, de la célèbre formule de Baumgartner : «Il ne faut pas faire plus de bêtises que les autres. »)
GdG : « Je crains que cette dépréciation n'aille plus vite qu'en Allemagne, en Italie et en Angleterre.
Pompidou. — Mais dans ces pays, il y a récession !
GdG. — Notre psychologie nous fait obligation de veiller rigoureusement à la stabilité. Or, nous en sommes sortis, sans qu'il y ait là de véritables raisons, sinon certains intérêts qui s'emploient à faire monter les prix.
Pompidou. — Il ne faut pas dépasser un niveau qui serait insupportable.
GdG (vivement). — Il ne faut pas l'atteindre !
Pompidou. — Mais ce n'est pas le cas ! La foule des consommateurs a tendance à dire que la vie monte quand la viande, les pommes de terre et le vin augmentent. Mais ce n'est qu'un aspect des choses. Nous ne connaissons pas de véritable inflation.
Pisani. — Le pourcentage des produits agricoles dans le coût de la vie ne cesse de diminuer. En revanche, on ne dira jamais assez la malfaisance des intermédiaires ! On ne pourra en venir à bout sans mesures énergiques. »
À la sortie du Conseil, Pompidou, goguenard, me dit : « Le Général s'énerve parce que Mme de Gaulle lui a dit : "Charles, les prix montent !" Le Général en a conclu qu'il devait prendre l'affaire en main 4 . »
Au Salon doré, après le Conseil, le Général me montre qu'il n'est nullement rassuré par l'optimisme de Giscard et de Pompidou, et que Pisani a su le mieux se mettre dans la ligne de sa pensée :
« Il ne suffit pas de laisser faire. Il faut faire faire ! Il faut organiser les choses ! Si on laisse aller, les intermédiaires abusifs prélèvent leur rançon. On se retrouve avec des prix gonflés. Le "laisser-faire, laisser-passer" n'a jamais rien arrangé ! Il faut vouloir. »
« Un jour, les Américains prétendront substituer l'étalon-dollar à l'étalon-or »
Au Conseil des ministres du 19 décembre 1962, Giscard : « Nous avons un fort excédent de devises. Nous comptions sur 800 millions de dollars pour l'année en cours et nous avons déjà collecté 1,2 milliard. Nous sommes dans le monde le seul pays créditeur important. La décote humiliante de nos billets sur les marchés extérieurs, que nous avons connue jusqu'en 1958, est bien terminée. Les banques qui appliquaient des agios élevés, c'est fini. Nos billets circulant à l'étranger commencent à être surcotés. »
Pompidou partage cet optimisme, mais en l'enrobant de prudence : « Notre balance des paiements a effectué un redressement spectaculaire depuis 1958. On peut réduire d'autant le service de la dette. Mais il est dangereux de dire, ou de laisser dire, que " les caisses sont pleines ". Une fois toutes nos dettes remboursées, il nous restera un milliard de dollars, ce qui n'est pas excessif. »
Au Salon doré, après le Conseil, le Général me dévoile ses idées sur le dollar et sur l'or :
« Tant que les Américains prétendent que le dollar et l'or c'est la même chose, il nous faut les prendre au mot. Nous échangerons nos dollars
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