C'était De Gaulle - Tome I
de quelque 20 %. L'élan de la consommation est normal : nous avons reçu un million de rapatriés (il ne dit plus : repliés) ; il y a deux millions de consommateurs de plus en deux ans. Mais il y a un groupe de pression de l'inflation. C'est le plus puissant de France. La démagogie le renforce. Tous les Français en sont des agents inconscients.»
Situation curieuse à observer. Le Général, d'instinct, a le sentiment que l'inflation a repris, comme sous la IV e , avec toutes les conséquences dramatiques qui peuvent en résulter pour sa politique et pour le régime lui-même. Le Premier ministre et le ministre des Finances trouvent qu'il se mêle de ce qui ne le regarde pas et qu'il ne connaît pas. Ils ne cachent pas en privé qu'ils le trouvent un peu « fruste » en matière économique et financière.
Lui, au contraire, il trouve qu'ils font preuve d'une certaine inconscience. Il éprouve une certaine difficulté à s'exprimer devant deux interlocuteurs, fort experts, qui prennent un malin plaisir à le mettre dans l'embarras. Il ne sait trop comment les faire bouger. Il se plonge donc dans un effort de rattrapage, pour dominer ces questions, qu'il ressent intuitivement, mais dont il ne maîtrise pas le langage. Il ne doute pas de pouvoir, avec sa pénétration habituelle, approfondir sa compréhension de phénomènes dont sa formation l'avait tenu éloigné.
Et le voilà qui s'exerce à planter sur le monstre de l'inflation les banderilles de sa vigilance. Ce n'est pas encore l'estocade, mais il est clair qu'il s'y prépare.
1 Descamps : secrétaire général de la CFTC (avant de le devenir de la CFDT, quand elle se séparera, en 1964, de la CFTC maintenue). Bothereau : secrétaire général de la CGT-FO. Villiers : président du CNPF.
2 Voir pp. 549-550.
3 Pierre Lelong, chargé de mission au cabinet de Pompidou en 1963.
4 Voir p. 526.
V
« L'ÉPREUVE »
Chapitre 1
« POURQUOI CETTE GRÈVE PERLÉE ? »
La grève des mineurs sera la première grande épreuve, après la fermeture de la « boîte à chagrins ». Elle apparaîtra discrètement au Conseil du jeudi 24 janvier 1963 . C'est le Général qui, en dehors de l'ordre du jour, exerce son flair et pose la question.
GdG : « Quelle est la raison de la grève perlée des mineurs des bassins de la Loire et du Centre ?
Triboulet (une vieille rancune qui ressort). — La Communauté européenne du charbon et de l'acier a une grande responsabilité. La France demandait qu'un plan de stockage de charbon soit financé par la Haute Autorité, laquelle s'y est refusée pour permettre les importations américaines. C'était un coup de Jean Monnet.
GdG. — Ce n'est pas exclu. Mais pourquoi cette grève perlée, hic et nunc 1 ? (L'observation de Triboulet va dans le sens de ses idées, mais ne répond pas à sa question.)
Bokanowski. — On a refusé la prime EDF et GDF aux Charbonnages. C'est une grève dont les syndicats n'arrivent pas à se sortir. J'ai suggéré qu'ils fassent une grève d'un jour, qui s'étendrait à tous les bassins. Mais les mineurs du Nord et de l'Est, qui sont plus conscients du devoir national, s'y refusent, car ils sentent combien cette grève serait impopulaire. D'où cette grève larvée, qui s'en va en quenouille, et que personne n'a le courage d'arrêter.
Pompidou. — La CFTC voulait faire une grève générale illimitée. La CGT et FO ont préféré faire une grève perlée du rendement. Mais FO n'a pas été suivie en Lorraine, ni dans le Nord et le Pas-de-Calais. Seuls, les bassins misérables du Centre et du Midi, qu'on maintient à grands frais, ont suivi. En effet, le climat politique, qui y est défavorable au gouvernement, est favorable à ce genre de grèves. »
Au Conseil du 30 janvier 1963, Marette : « Grève générale de vingt-quatre heures dans les Postes. C'est un abcès de fixation, ce n'est pas tellement fâcheux. C'est moins grave qu'une grève tournante.Il y a dix-huit mois qu'il n'y a pas eu de grève aux PTT. FO a voulu reprendre ses troupes en main. »
Pompidou, vivement : « Il ne faut quand même pas admettre comme une chose normale qu'il y ait vingt-quatre heures d'arrêt de service tous les dix-huit mois. »
Le Général ne desserre pas les dents. Il doit considérer, lui aussi, que ça fait partie de ce qu'on ne peut ni éviter, ni admettre.
À ce même Conseil du 30 janvier 1963, Bokanowski : « La tentative des mineurs de faire la grève du rendement a échoué. Il est possible
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