C'était De Gaulle - Tome I
d'Orsay du FLN."
GdG (pince-sans-rire). — Il faut le renvoyer à son Quai d'Orsay. Ces diplomates non accrédités, vous allez me les réexpédier en Algérie. Ou au moins quelques-uns d'entre eux. »
Cette délibération nous laisse une impression de malaise, dont nous nous faisons part, en petits groupes, à la fin du Conseil. Le Général m'entraîne dans son bureau, me donne ses instructions pour la presse et ajoute simplement : « Trois cents Français d'Algérie par semaine, ça fait douze cents par mois, à supposer qu'ils soient tous des rapatriés. Ce n'est pas la mer à boire. Ce n'est rien !
AP. — Vous ne pensez pas que le rythme va s'accélérer ?
GdG. — On verra bien. »
« L'État est profondément malade »
Au Conseil des ministres du 4 mai 1962, quand Joxe commence à décrire la situation en Algérie, on a tout de suite l'impression que la belle mécanique montée à Évian est en train de s'enrayer : « La situation est difficile. Plus on porte de coups à l'OAS, plus elle multiplie les attentats contre les personnes. Elle démolit les infrastructures, elle désorganise la vie. L'équilibre entre les communautés musulmane et européenne paraît de plus en plus impossible à atteindre. Les Européens continuent à se nourrir d'espoirs fallacieux : "Les dissensions du FLN s'aggravent" ; "Le malaise social s'étend en France" ; "Il n'y aura pas d'autodétermination" ; " Évian est inapplicable".
« La population musulmane est saisie d'une colère grandissante. Pour la première fois, elle a eu des réactions violentes à Alger, à Aïn-Temouchent. Pourrons-nous contenir cette fureur jusqu'au référendum ? Et après, ne risque-t-elle pas d'exploser sauvagement, quand le rapport de forces sera inversé ? Au Rocher Noir, l'Exécutif provisoire a tendance à faire de grands plans d'avenir, en oubliant sa mission, qui est simplement de préparer l'autodétermination. Ces hommes n'ont pas l'habitude de travailler. Ils ne savent pas choisir les urgences.
« L'OAS fait croire qu'un nouvel équilibre va s'établir entre les Européens, encadrés par elle, et la communauté musulmane, encadrée par l'ALN. L'essentiel est de convaincre la population de la volonté absolue de mener la politique d'Évian jusqu'au bout.
Sudreau. — Argoud vient de faire une tournée des popotes en Allemagne. Cet épisode est-il terminé ?
Frey. — Argoud était bien en Allemagne en avril. Il a vu des officiers dans les environs de Stuttgart. Il considère la partie perdue en Algérie. Pour lui, la partie réelle va commencer en France. Nous avons saisi de nombreux documents qui prouvent que l'OAS croit que, lorsque les rapatriés et les militaires vont s'installer en métropole, elle pourra s'infiltrer partout et que la situation basculera.
Buron. — Les débardeurs français du port d'Alger avaient tous disparu au moment de l'attentat qui vient de coûter la vie à de nombreux dockers musulmans.
Pisani. — Comment se fait-il qu'on ne concentre pas le maximum de troupes à Alger et surtout à Oran, alors que tout va bien dans le bled ?
GdG (levant les bras). — Comment se fait-il que l'armée, depuis si longtemps, soit si lente à exécuter les ordres ? Comment se fait-il que la justice soit si réticente à juger et à exécuter sesjugements ? Comment se fait-il que l'administration réponde si mal aux commandes ? Comment se fait-il que l'information ne soit jamais objective et privilégie toujours les nouvelles tendancieuses ? Nous sommes aux prises avec un problème énorme. L'État est profondément malade, et les événements n'ont fait qu'aggraver sa maladie, dont ils sont la conséquence. Ce n'est pas une raison pour nous décourager. C'est au contraire une raison d'avoir du courage.
« Les gens du FLN ? Il n'est pas dans leur nature de résoudre des problèmes, mais de les aggraver. Les Européens ? Depuis cent trente ans, ils ont pris l'habitude de dominer les musulmans, ils ont pensé que la France serait toujours là pour les protéger et assurer leur supériorité, que les musulmans ne pourraient rien contre eux.
« L'administration, l'armée, la justice ont baigné là-bas dans les mêmes préjugés. Il nous faut montrer que nous n'hésitons pas, qu'on ne peut spéculer sur aucune incertitude, que ce qui a été décidé sera fait. Il faut annoncer la date de l'autodétermination. Que personne ne doute que la France n'exercera plus aucune responsabilité, ni politique ni de maintien de
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