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C'était De Gaulle - Tome I

C'était De Gaulle - Tome I

Titel: C'était De Gaulle - Tome I Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Alain Peyrefitte
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sont souvent hostiles par manque d'information. En revanche, s'ils ont l'impression que j'en sais beaucoup plus que je ne m'autorise à leur dire, ils m'écouteront et seront disposés à m'entendre. Pendant dix ans, soit au Quai d'Orsay, soit en poste à l'étranger ou dans les conférences internationales, j'ai été formé à distinguer entre ce que l'on doit taire et ce que l'on peut laisser deviner. Si on connaît soi-même le dessous des cartes et qu'on sait tenir sa langue, on peut jouer la bonne carte au bon moment. Il me semble que le rôle que vous m'avez confié ressemble au métier de diplomate. Puis-je vous demander de me faire un peu confiance, ne serait-ce que quelque temps, à l'essai ? »
    À mesure que je parle, il me semble que le Général n'est pas insensible à mon ton de déférente détermination. Il regarde le plafond quelques secondes, puis me lâche, mi-bougon, mi-adouci : « Alors, qu'est-ce que vous voulez savoir ? »
    Aurais-je gagné ? Je respire un grand coup et tente le tout pour le tout : « Aujourd'hui, avoir une idée de ce que vous direz dans votre conférence de presse de la semaine prochaine. »
    À peine la phrase terminée, je mesure l'énormité de cette demande, pourtant préméditée. D'ordinaire, de peur que le secret ne soit dévoilé prématurément, c'est la veille ou le matin même de la conférence que l'attaché de presse de l'Élysée engage tel ou tel journaliste à poser telle ou telle question. Et chacun sait, dans les milieux de presse, que tous les sujets sont préparés longtemps à l'avance, que le Général a tout écrit, qu'il a appris son texte par cœur, qu'il le récite sans y rien changer. Ce n'est pas une conférence de presse, c'est une conférence à la presse ; selon la même technique avec laquelle, jadis, le capitaine de Gaulle récitait ses conférences à l'École de guerre devant le maréchal Pétain, assisau premier rang d'un amphithéâtre abasourdi (tant par la présence d'un maréchal venu écouter un capitaine, que par ce capitaine aux allures de maréchal).

    « Eh bien, puisque vous y tenez ... »
    J'explique mon plan au Général : « Pourquoi ne pas dévoiler d'avance les thèmes, pour y préparer l'opinion publique ? » Encore que ce soit contraire à l'un de ses principes fondamentaux
    — surprendre l'adversaire —, il me semble qu'on se donnerait une chance d'imprégner peu à peu les esprits par accoutumance, et qu'on éviterait ainsi les brusques rejets dont souffrent fréquemment les déclarations du Général.
    Surprise et satisfaction d'entendre le Général me répondre, plus abondamment que je n'avais même imaginé : « Eh bien, puisque vous y tenez... Je parlerai du projet d'organisation politique des six États européens, que Spaak et Luns viennent de faire échouer. J'expliquerai la position de la France. Vouloir faire "l'Europe supranationale" sans les nations, ou à plus forte raison contre les nations, c'est une absurdité ! La seule réalité internationale qui tienne, au moins dans ce siècle et sans doute dans le prochain, ce sont les nations. La seule institution qui ait qualité pour répondre d'une nation, c'est l'État qui la dirige. La seule organisation qui puisse exercer une autorité légitime, c'est le concert de plus en plus intime des États. Et puis, je parlerai des armes nucléaires, de l'OTAN, de l'Algérie, de l'Afrique.
    AP. — Si on vous demande ce que vous pensez de l'accession de l'Allemagne à l'armement atomique, que répondrez-vous ?
    GdG. — Je ne serai pas engageant. »
    Le pli était pris. Par la suite, le Général m'a toujours dévoilé ce qu'il comptait dire dans ses conférences de presse, ses allocutions radiotélévisées, ses tournées en province et outre-mer, ses visites à l'étranger, ainsi que la quintessence de ses entretiens avec des chefs d'État ou de gouvernement. Il a mis de moins en moins de réticence à répondre à mes questions. Il essayait des formules sur lesquelles il n'était pas encore fixé. Il scrutait mes réactions, mais surtout, je crois bien, celles que suscitaient mes « indiscrétions ». Il jouait avec les fuites qu'il m'autorisait à faire. C'étaient autant de ballons d'essai. Il voyait ensuite comment ajuster son texte pour éviter de trop gros remous. C'est ainsi qu'il transformait en auxiliaires de son action son porte-parole, les journalistes à travers celui-ci, et le public à travers les journalistes.
    Pourtant, la conférence de presse du

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