C'était De Gaulle - Tome I
Grenier est venu à Londres bien longtemps avant que j'aille à Alger et que je me cogne à Giraud... »
Il reprend, comme pour montrer qu'il trouve mon hypothèse méprisable :
« Imaginez-vous que l'enjeu était plus élevé que ça ! Si je n'avais pas tendu la main aux communistes, y compris Thorez — bien qu'il ait mérité le poteau —, nous n'aurions pas évité la formation de milices, nous n'aurions pas réussi l'amalgame des combattants de l'intérieur et de l'extérieur. Et si Thorez n'avait pas appelé les travailleurs à retrousser les manches, nous n'aurions pas relevé nos ruines comme nous l'avons fait. Croyez-moi, il ne faut rien regretter !
AP. — Quand même, vous les avez appelés séparatistes !
« Jean Moulin était le meilleur pour réintégrer les communistes »
GdG. — Mais c'était bien après la guerre ! Voyez-vous, un bon communiste reconnaît deux patries : la France et l'Union soviétique ; et même, quand les intérêts des deux sont contraires, il est souvent tenté de préférer la seconde à la première, comme l'avait fait Thorez en désertant. Mais depuis l'invasion de la Russie par Hitler, il n'y avait plus pour eux qu'un combat. Et ils se battaient sérieusement.
« Ils auraient même été probablement les seuls, si nous n'avions pas pris les devants un an plus tôt, et si nous n'avions pas formé les réseaux gaullistes. Alors ! Ils méritaient bien qu'on leur accorde une présomption de patriotisme.
AP. — Jean Moulin vous a-t-il aidé à contenir la poussée des communistes, ou au contraire l'a-t-il accentuée ?
GdG (me rabrouant). — Voyons ! Mais il l'a contenue ! Justement parce qu'il avait la réputation d'être un préfet de gauche, et même proche des communistes, justement parce qu'il avait été directeur du cabinet de Pierre Cot, il ne pouvait pas être récusé par eux. Sa mission était de les réintégrer dans la communauté nationale. Il était le meilleur pour ça. Il a été droit comme un i. Ce n'est pas un préfet de droite comme Bollaert qui aurait pu réussir dans cette tâche.
« C'est Moulin, plus que tout autre, qui a permis de faire entrer les communistes dans l'organisation de la France combattante et donc de les contrôler. Sans le CNR 4 , il n'y aurait pas eu uneRésistance, il y aurait eu des résistances. À la Libération, il n'y aurait pas eu un peuple rassemblé, mais un pays éclaté. On n'aurait pas empêché les communistes de tenir des morceaux de territoire. Voyez ce qui s'est passé en Yougoslavie ou en Grèce. Ça se serait passé aussi chez nous. Dans le Limousin, justement ; et pas seulement là. »
« Devant le peloton, les communistes chantaient la Marseillaise »
Il garde quelques instants de silence.
« Voyez-vous, reprend-il, il faut toujours se demander : quel est l'intérêt supérieur de la France ? Les choses alors se simplifient. Pendant la guerre, le doute n'était pas permis. La Résistance était nécessairement très minoritaire, compte tenu des circonstances ; elle ne pouvait pas s'offrir en outre le luxe d'être divisée. Il était capital que la Résistance intérieure et la France combattante de l'extérieur ne fassent qu'un, pour que la France entière s'y retrouve, au moment où elle allait basculer de l'occupation à la Libération.
AP. — À combien évaluez-vous le nombre des résistants ?
GdG. — Oh... ça ne va pas loin. Si on compte tous ceux qui ont accompli un acte volontaire : engagés dans les FFL, les FFI 5 ou les réseaux, évadés, réfractaires, eh bien ça fait, paraît-il, quelque chose comme quatre cent mille (sans compter, bien sûr, les victimes involontaires , comme les prisonniers). C'est-à-dire un Français sur cent.
AP. — Avez-vous cru dès le début à la force de la Résistance, ou pensiez-vous qu'elle resterait négligeable ?
GdG. — J'imaginais bien qu'elle ne s'organiserait pas spontanément, qu'elle serait longue à s'éveiller. Mais les résistants étaient de plus en plus nombreux à venir à Londres, comme Jean Moulin, à ressentir le besoin d'unité, que la France libre était seule à pouvoir satisfaire. Ils voulaient de plus en plus exister par eux-mêmes. Et puis, ça a pris une grande ampleur après l'occupation de la zone Sud, quand les Allemands se sont mis à requérir la jeunesse pour garder des voies ferrées ou des ponts, ou pour aller en Allemagne dans le STO 6 . Ces requis sont devenus les grands pourvoyeurs de la clandestinité.
« Les
Weitere Kostenlose Bücher