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C'était De Gaulle - Tome I

C'était De Gaulle - Tome I

Titel: C'était De Gaulle - Tome I Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Alain Peyrefitte
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Français libres ? Des braves types comme les pêcheurs de l'île de Sein, qui ne possédaient que leur barque et l'emmenaient avec eux ; des garçons sans attaches, qui n'avaient rien à perdre ; des juifs qui se sauvaient parce qu'ils devinaient qu'ils allaient tout perdre. Ceux qui avaient à choisir entre les biens matériels et l'âme de la France, les biens matériels ont choisi à leur place. Les possédants sont possédés par ce qu'ils possèdent. »
    Hors les quelques cas qu'il jugeait pendables, j'ai toujours vu le Général, pendant la dizaine d'années où je l'ai fréquenté, juger avant tout les hommes selon ce critère qui dominait tousles autres, qui rachetait toutes les turpitudes ou qui gâchait toutes les aptitudes : « Dans quel camp était-il pendant la guerre ? Du côté des propriétaires, ou du côté de l'âme de la France ? » De là, je crois bien, son indulgence à l'égard des communistes, même s'il condamnait le communisme et si le Parti communiste lui était encore plus odieux que les autres partis. De là, aussi, sa sévérité envers la « droite », « les conservateurs », « l'argent », même si c'étaient eux qui le soutenaient le mieux par leurs votes.

    Il s'est tourné vers le paysage qui défile et garde le silence. Il a l'art de faire comprendre que si l'on reste plus longtemps, on abuserait de sa patience. Je prends congé en le remerciant de m'avoir consacré tant de temps.
    Plus tard, je sentirai presque toujours l'instant où le Général en a assez. Si je ne le comprenais pas, je suis sûr qu'il me mettrait courtoisement à la porte. Une fois, sur trois centaines de conversations, comme je n'avais pas été attentif à un silence, il m'a mis les points sur les i : « Je vais être obligé de vous laisser. » Je ne le lui ai pas laissé dire deux fois.

    Quand je reviens, une heure plus tard, Frey et Bokanowski m'accueillent avec incrédulité : « Mais qu'est-ce que vous avez fait ? Il vous a gardé tout ce temps ? »
    Je me mets à reconstituer la conversation sur un de ces carnets dont je ne me sépare pas.
    Roger Frey me met en garde : « Si j'avais écrit tout ce qu'il m'a dit, j'en aurais rempli, des carnets ! Mais vous savez qu'avec ce que dit à chaud le Général, vous pourriez faire battre des montagnes ? Vous savez qu'il dit tout et le contraire de tout ? Vous savez qu'il veut vous éprouver ? Qu'il prêche le faux pour savoir le vrai ? Qu'il vous provoque ? Qu'il vous tend des pièges ?
    — On me le répète tant, que je commence à le savoir. »
    À dire vrai, l'expérience m'a montré que le Général « provoquait » plus rarement qu'on ne le prétendait : seulement lorsqu'il se servait de son interlocuteur en vue d'approfondir des arguments pour ou contre une idée. C'était un exercice de l'esprit. En dehors de ce cas bien caractéristique, ses propos m'ont toujours paru sincères.
    Jamais il ne prenait les devants pour raconter. On pouvait se sentir tenu de respecter cette discrétion ; presque tous ses familiers adoptaient cette attitude. Mais, si on osait l'interroger — sur un ton respectueux —, il répondait sans rechigner aux questions, pourvu que le moment fût bien choisi ; et on constatait alors qu'il parlait sans détours.
    1 Directeur du cabinet de l'Élysée, successeur de René Brouillet.
    2 17 au 20 mai 1962.
    3 Dans les quatre départements, Lot, Corrèze, Creuse, Haute-Vienne, on compte dix parlementaires socialistes, un communiste, cinq radicaux de gauche (gauche démocratique) — et un seul gaulliste, l'UNR Filliol.
    4 Conseil national de la Résistance, dont Jean Moulin fut le premier chef, de mars 1943 à son arrestation, en juin 1943.
    5 Forces françaises libres, Forces françaises de l'intérieur.
    6 Service du travail obligatoire.
    7 Amiral commandant l'escadre française de Méditerranée.
    8 Du 23 au 25 septembre 1940, de Gaulle, avec une escadre anglaise, tenta de débarquer à Dakar. Il fut repoussé par le gouverneur Boisson, resté fidèle au maréchal Pétain.
    9 René Pleven a affirmé à Jean-Raymond Tournoux que le Général lui avait déclaré qu'il était sur le point de « se flinguer » (ou, selon Antoine Veil, bénéficiaire de la même confidence de Pleven, qu'il avait failli « se brûler la cervelle »). Je n'arrive pas à l'imaginer. Il est vrai qu'avec le Général, il ne faut jamais exclure un propos provocateur.
    10 Une vingtaine de parlementaires (dont Daladier, Mandel, Mendès France, Jean Zay)

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