C'était De Gaulle - Tome I
Français sont tellement différents les uns des autres, comprenez-vous, tellement prêts à se déchirer ! Il fallait bienleur trouver un dénominateur commun. Ce ne pouvait être que la patrie. Les résistants formaient un noyau de patriotes, à partir duquel tous les Français allaient se rassembler. Devant le peloton d'exécution, les communistes chantaient la Marseillaise comme les autres. Il y a bien eu des bavures à la Libération, comme toujours dans ce genre de situations. Mais nous avons quand même à peu près réussi à maîtriser l'insurrection.
« Ce qui compte, c'est le premier pas. Chaque conduite a sa logique. Ceux qui avaient choisi de s'abandonner à la facilité de l'armistice ont descendu les marches l'une après l'autre, même s'ils étaient loin d'imaginer d'avance qu'ils dégringoleraient si bas. Ceux qui ont choisi de grimper n'avaient plus qu'à suivre le sentier.
« À la place des Anglais, j'aurais fait ce qu'ils ont fait »
AP. — Dans vos Mémoires de guerre, vous évoquez discrètement le jour où vous avez été submergé par l'émotion, quand vous avez appris la conduite des Français libres à Bir-Hakeim. Vous avez eu d'autres moments de joie, pendant ces années terribles ?
GdG (lentement). — Il n'y en a pas eu beaucoup. Il y a eu bien davantage de jours de déception.
AP. — Vous est-il arrivé d'être découragé ?
GdG. — J'ai été plusieurs fois tenté de tout lâcher.
AP. — Après Mers-el-Kébir ?
GdG. — Non. Parce qu'à la place des Anglais, j'aurais fait ce qu'ils ont fait. L'escadre française en rade de Mers-el-Kébir faisait peser sur eux un danger terrible. Ils n'avaient aucune garantie que les Allemands n'allaient pas s'en emparer : elle était assez puissante pour aider la Kriegsmarine à couvrir le débarquement en Angleterre. C'était une question de vie ou de mort. Churchill avait d'ailleurs laissé le choix à l'escadre : continuer le combat contre l'ennemi, se faire désarmer dans un port anglais, ou se rendre aux Antilles. Celui qui avait tort, c'est cet imbécile de Gensoul 7 . Puisqu'il ne voulait pas se battre, il lui était facile de traverser l'Atlantique et d'aller s'embosser à Fort-de-France. Et puis, s'il avait été malin, il aurait commencé par dire aux Anglais : "D'accord, j'appareille et je m'en vais en Amérique", et, une fois en haute mer, il aurait fait ce qu'il aurait voulu. Au lieu de ça, ce crétin s'est laissé écraser comme un rat au fond de la nasse.
« J'ai protesté, naturellement, pour les treize cents Français massacrés. C'était un malentendu tragique. Mais il n'y avait pasde quoi se décourager. Au contraire, c'était la preuve éclatante que l'armistice conduisait fatalement à un terrible gâchis d'hommes et de forces. Alors que notre flotte était intacte et que, dans cette guerre qui devenait maritime et mondiale, elle pouvait donner aux Alliés une suprématie absolue ! Les marins ont fait la démonstration par l'absurde de l'erreur de l'armistice. La plupart des officiers de marine continuaient d'ailleurs à penser que le véritable ennemi, ce n'était pas l'Allemagne, mais l'Angleterre.
« Dakar, une idée anglaise sabotée par des Anglais »
AP. — Mais Dakar 8 vous a porté un coup ?
GdG. — Ce qui m'a porté un coup, c'est de voir que des Français décidaient froidement de tirer sur des Français qui se présentaient devant eux avec le drapeau blanc des parlementaires. C'est de voir un gouverneur général qui n'hésitait pas à provoquer un carnage dans notre escadre, alors que ni les Allemands, ni Vichy ne pouvaient rien contre lui, et qu'en basculant vers la France libre, il aurait pu entraîner des ralliements en chaîne et hâter le destin. Oui, j'ai eu alors la tentation de tout plaquer 9 .
« Et puis, en route vers Douala, j'ai été vite ragaillardi. D'abord, l'expédition de Dakar était une idée de Churchill, qui ne m'avait guère enthousiasmé et que je trouvais aventureuse. Et les Anglais avaient laissé passer à Gibraltar l'escadre de Toulon. Dakar, c'était une idée anglaise sabotée par des Anglais. Ça ne mettait pas en cause la France libre. Ensuite, le Cameroun, le Gabon, le Congo m'appelaient. Ils m'avaient fait confiance. Je ne pouvais pas les laisser tomber.
AP. — Cet été 40, vous avez eu d'autres tentations de découragement ?
GdG. — Oui. Quand j'ai constaté que tous les hommes politiques de la III e République restaient les deux pieds dans le même sabot.
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