C'était de Gaulle - Tome II
d'entrer au Conseil, mais il a voulu entendre les deux parties, et rendre son arbitrage ensuite.
Pompidou, visiblement contrarié, me griffonne aussitôt un billet:
« M. Peyrefitte,
« Naturellement, vous ne dites pas un mot à la presse sur l'affaire de l'enseignement privé. Il faut un silence total.
« G. Pompidou »
Le silence sera religieusement gardé. Mais tous les ministres ont noté ce bref moment où le Général a dévoilé sa déception devant l'attitude du clergé.
« Vichy, c'était la France selon son cœur »
Lyon, dimanche 29 septembre 1963.
Non seulement le cardinal Gerlier, primat des Gaules, n'attend pas le Général sur le parvis de sa cathédrale, mais il est absent sans en avoir prévenu, ni s'en être excusé: il est parti la veille au soir pour Rome, sous le prétexte du Concile, comme s'il n'avait pas pu retarder son départ d'une demi-journée. Bien plus: une déclaration ronéotypée distribuée aux fidèles explique cette absence d'une manière si cavalière, qu'on peut seulement l'interpréter comme un désaveu de la politique du Général.
Avant de prendre l'avion, le Général me dit tristement : « Le cardinal Gerlier, ce n'est pas le gallicanisme qui l'étouffe. L'Église de France non plus, dans sa majorité; ni le patriotisme. Vichy l'attirait davantage. Vichy, c'était la France selon son cœur. Elle avait beau être écrasée et humiliée, tout allait bien, puisqu'on faisait revenir les congrégations chassées par la III e République, puisqu'on favorisait l'enseignement catholique, puisque les âmesétaient d'autant plus prêtes à se laisser cueillir par l'Église qu'elles étaient plus désespérées. Que voulez- vous que j'y fasse? C'est ainsi. »
Le « primat des Gaules » se dérobant devant de Gaulle: avec le recul du temps, l'épisode est presque inconcevable. C'est que nous avons oublié à quel point le Général était critiqué, méconnu, persiflé, récusé, par ceux qui détenaient une parcelle d'autorité. Si les choix du Général étaient approuvés par les masses, ils étaient déchirés à belles dents dans les dîners en ville, dans les éditoriaux, dans les homélies. Le contraste était constant entre la chaleur populaire et l'aigreur d'une « classe dirigeante » qui s'exaspérait de ne plus diriger.
Mais autant le Général se complaît à attaquer les « notoires », les « journaleux », le Sénat, le Conseil d'État — bref, tous ceux qui lui ont « manqué » et lui paraissent manquer à la France —, autant, même en privé, son langage reste mesuré quand il évoque le clergé. Sans doute parce qu'il a compté aussi d'authentiques résistants. Mais surtout, il y a là une souffrance dont il n'aime pas parler. S'il laissait aller son amertume, il traiterait l'Église en ennemie, et il ne peut s'y résoudre. Pour lui, l'Église de France, l'Église gallicane, c'est la France. Mais voilà, elle n'a pas manqué à Vichy. Elle n'a pas manqué au MRP. C'est à lui qu'elle a manqué. Lui, il ne lui a pourtant pas manqué. Il s'agenouille publiquement devant ses autels. Il a sauvé ses écoles. « Que voulez-vous que j'y fasse? C'est ainsi. »
« Il n'y a qu'une Église qui compte, c'est l'Eglise catholique »
Salon doré, 2 décembre 1964.
AP : « Le voyage de Paul VI en Inde est curieux. C'est le premier pape qui se remue comme ça.
GdG. — Oui. C'est curieux. C'est un élément tout à fait nouveau. L'Église s'était présentée au monde depuis des siècles comme une forteresse qui se défend et qui ne se laisse pas entamer. Aujourd'hui, elle se présente comme une force qui va au-devant des contacts.
AP. — Qui est tolérante.
GdG. — Voyez le voyage en Terre Sainte. Maintenant, le voyage en Inde. Ça a l'air de dire : " Vous êtes musulmans, juifs, hindous ou bouddhistes, mais ça ne fait rien. On peut causer. On peut être fraternel."
AP. — Ça renforce l'autorité morale du pape.
GdG. — Oui. Je n'ose pas comparer ce qui n'est pas comparable, mais au fond, c'est un peu la politique que nous faisons.
AP (cynique). — Il sent que le tiers-monde est une clientèle à prendre.
GdG. — Oui... Non... Pour lui, c'est pas tant le tiers-monde qui compte, que ce qui n'est pas catholique, et même ce qui n'est pas chrétien. Voyez. En outre, de tout ça, il ressort, d'abord que le christianisme est la plus grande religion du monde, ensuite que l'Église catholique est l'essentiel de la chrétienté. Et ça, c'est très
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