C'était de Gaulle - Tome II
Notre position est celle du bon sens. Je serais surpris que les autres pays ne veuillent pas en profiter.
« Et même, ça m'étonnerait bien que les États-Unis restent éternellement en arrière. Il suffit d'aller à San Francisco 2 pour voir que cette Amérique-là a besoin, secrètement, de faire des affaires avec ce paquet formidable qu'est la Chine.
« Enfin, quand nous serons là-bas, il est probable que nous aurons des constatations importantes à y faire, et sans doute des occasions d'agir. »
« Ne nous laissons pas confisquer le bénéfice d'être les premiers »
À l'issue du Conseil, le Général me dit : « Surtout, ne dites rien, même pas en confidence, sur cette affaire tant qu'elle n'est pas officielle.
AP. — Quand voyez-vous l'annonce effective ?
GdG. — La date choisie est en liaison avec les élections américaines d'octobre prochain, où se joue le sort de Johnson. Il fallait avoir terminé le processus longtemps avant.
«Pour la Chine, contentez-vous de dire qu'à l'occasion du voyage de Messmer, Couve a examiné la situation en Asie et plus particulièrement dans le Sud-Est asiatique, où des développements sont à attendre. N'en dites surtout pas plus. »
Puis, après m'avoir bâillonné d'avance, il se laisse un peu aller. Mais il n'en a pas moins ramassé sa pensée avec beaucoup de nuances :
« L'option se réduit à un constat bien simple : la reconnaissance de la Chine par le monde occidental est quelque chose d'inéluctable. Ne nous laissons pas confisquer le bénéfice d'être les premiers. Mais, du fait que nous prenons les devants, nous recevrons des coups.
« Vis-à-vis de l'opinion française et internationale, il est opportun de ne pas donner à ce geste un caractère anti-américain. Nous reconnaissons un pays de 700 millions d'habitants, qu'il était artificiel de ne pas reconnaître. Pour les répercussions aux États-Unis, il y a des précautions à prendre : plus tard dans l'année nous attendrons, plus graves risquent d'être les conséquences dans la campagne électorale. Il y a beaucoup d'obscurantisme américain ; notamment parmi vos journalistes américains à Paris : ils vont manipuler leur opinion publique. »
Puis, évoquant le voyage de Messmer au Cambodge, il conclut :
« Nous avançons nos pions dans le Sud-Est asiatique depuis notre déclaration sur le Vietnam l'été dernier, qui a fait un grand effet. La France fait une rentrée éclatante en Asie. »
Il y avait donc bien un lien étroit entre les deux calendriers. S'il a envoyé Messmer à Phnom Penh au moment où il noue l'affaire chinoise explorée par Edgar Faure, c'est aussi pour faire comprendre, à Pékin comme à Washington, qu'il ne veut pas seulement reconnaître une situation, mais agir sur le terrain.
1 Il avait déjà utilisé cette expression devant moi un an plus tôt, le 24 janvier 1963 ( cf . tome I, p. 317).
2 Les 27 et 28 avril 1960, le Général a séjourné à San Francisco. Il a été accueilli par le gouverneur de Californie et par le maire. Il a fait en vedette une visite de la baie de San Francisco, qui l'a impressionné.
Chapitre 13
« AVANT D'ÊTRE COMMUNISTE, LA CHINE EST LA CHINE »
Au Conseil du 22 janvier 1964, Couve : « La discussion avec les Chinois a évolué plus vite que prévu. Depuis huit jours, nous informons de nos intentions nos interlocuteurs : l'Allemagne et les autres pays de la Communauté ; les États-Unis et la Grande-Bretagne ; l'Afrique du Nord et l'Afrique noire ; l'URSS, le Japon, l'Inde, le Pakistan. Malgré notre grande discrétion, c'est aussitôt sorti.
GdG. — J'ai envoyé à Chiang Kaï-shek un messager personnel, le général Pechkoff, qui avait été mon ambassadeur auprès de lui à Chung King pendant la guerre.
Couve. — Les réactions sont comme on pouvait le prévoir : aux États-Unis, fort défavorables ; tous les autres trouvent naturelle et même excellente cette décision ; même si, en public, ils regrettent que le moment soit mal choisi.
GdG. — Quel qu'eût été le moment, on aurait dit : "Le moment est mal choisi." »
« Les réactions sont assez hystériques du côté américain »
Couve précise alors la forme que prendra la publication de la reconnaissance, un « communiqué sobre » : « Nous reprenons des relations sans conditions, sans nous engager ni à rompre avec Formose, ni à demander l'entrée de la Chine à l'ONU.
«Les Américains exercent une vive pression à Taipeh, pour éviter la rupture
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